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Accueil Social, économie et politique Louis Gallois, de la compétitivité à la charité

Louis Gallois, de la compétitivité à la charité

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Nouveau gourou du gouvernement, croisement de Jacques Attali et de Martin Hirsch, ce haut fonctionnaire a un avis sur tout, et son action ne manque pas de cohérence.

Louis Gallois, c'est l'homme de la compétitivité aveugle. Pointant sans l'avouer dans son récent rapport un «coût du travail» beaucoup trop élevé [1], il a sans mal vendu la recette éculée de la déflation salariale et du dumping social, qu'il faut nécessairement doper par un transfert détournement de fonds supplémentaire de la collectivité aux employeurs. Résultat, le gouvernement leur a consenti un nouveau cadeau fiscal [2] de 20 milliards d'euros — qui sera financé par l'ensemble de la population via une augmentation de la TVA, des «réformes structurelles» à venir et la dégradation des services publics — sans contreparties.

En clair, à ses yeux, le sacrifice doit peser sur les salariés et les ménages, sommés de s'appauvrir au nom de l'emploi afin d'enrichir les entreprises et leurs actionnaires. Au risque de peser toujours plus sur la consommation, donc l'activité; donc générer toujours plus de chômage et nous conduire à la récession...

Egalement issu d'HEC et de l'ENA, Louis Gallois n'est pas qu'un célèbre dirigeant d'entreprises publiques. Décrit par Wikipédia comme un «grand serviteur de l'État, patron médiatique à l'image sociale travaillée, classé à gauche mais essentiellement par des gouvernements de droite», l'homme est depuis peu président de la FNARS (Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale). Et c'est au nom de celle-ci qu'il a publié mercredi, à l'occasion de la conférence de lutte contre la pauvreté et les exclusions qui se tient aujourd'hui et demain à Paris, une tribune dans Le Monde intitulée Adapter la protection sociale à notre société de précarité”.

Vous avez bien lu : notre société est vouée à la précarité, c'est inéluctable, there is no alternative. Et pas question d'y remédier : il faut au contraire composer avec cette norme encensée par Laurence Parisot, voire l'accompagner, un verbe que Louis Gallois va décliner cinq fois...

Après avoir invité la société française à exprimer de la solidarité à l'égard des soi-disant créateurs de richesses, le voici qui invite la société française à exprimer de la solidarité envers leurs victimes !

Un laïus de pompier pyromane

«Construit au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans une période de croissance, le système de protection sociale se révèle aujourd'hui inadapté aux nouvelles donnes économiques», annonce-t-il. Ce que Louis Gallois se garde bien de dire, c'est que notre système de protection sociale a été instauré alors que la France était complètement ruinée — ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui puisque nous sommes toujours la 5e puissance économique mondiale. Certes, tout était à reconstruire et la croissance ne pouvait qu'être au rendez-vous; mais celle-ci a été longtemps stimulée par les diverses conquêtes sociales qui, obligeant à une meilleure répartition des richesses, ont permis à l'économie de prospérer.

La «nouvelle donne économique» dont parle Louis Gallois s'est brusquement dessinée dans les années 80 où un virage ultralibéral a transféré 10 points de PIB du salariat aux profits. Ce retournement de tendance n'a cessé de se renforcer avec la dérégulation financière, un libre-échange et une rapacité débridés aboutissant à un court-termisme suicidaire. Chômage de masse, accès à l'emploi de plus en plus difficile, insécurité sociale grandissante, telle est «la réalité économique et sociale d'aujourd'hui», nous dit Louis Gallois qui oublie de préciser que cette réalité inclut toujours plus de dividendes aux actionnaires, et moins d'impôts aux plus riches. Pas un mot sur les causes de la crise actuelle qui sont à chercher du côté du creusement des inégalités, de l'appauvrissement progressif des populations et du surendettement privé.

Allant à l'encontre de ses préconisations scélérates remises au gouvernement le mois dernier, tel un VRP du néolibéralisme reconverti en VRP du social, le voici qui nous tient un discours humaniste dont le maître-mot est «l'accompagnement» (social adapté, individualisé…). Sauf que, derrière l'idée louable de venir en aide aux «personnes touchées par "un accident de la vie"» — notez le caractère forfuit du mot «accident» alors que le chômage, la précarité et la pauvreté sont organisés depuis trente ans, y compris par lui-même —, on sent en filigrane l'infantilisation des pauvres qu'il faut prendre par la main, remettre dans le droit chemin… et surveiller via des dispositifs d'«expérimentation» [3].

Bien sûr, il nous ressort l'antienne éculée de la «réinsertion professionnelle» (comprenez : faire bosser à pas cher des jeunes ou des adultes très «éloignés de l'emploi» — plutôt éjectés de l'emploi — afin de préserver leur «employabilité»). Et pour faire croire à ses penchants «de gauche», il préconise quelques mesures d'urgence et de bon sens, comme le renforcement de l'«accès au logement des plus pauvres» et des «capacités d'hébergement», l'arrêt immédiat des expulsions, la revalorisation et la remise «à plat» du RSA. Mais quand Louis Gallois évoque la «responsabilité sociale» des entreprises — alors que son rapport asseyait un peu plus leur déresponsabilisation —, c'est surtout pour mieux solliciter l'Etat-vache-à-lait et ses collectivités locales mises à la diète. 

«Le degré de solidarité d'un pays se mesure au soutien qu'il est capable d'apporter aux plus démunis», dit-il. Or, traiter des conséquences en fermant les yeux sur leurs causes, c'est coller des pansements sur une jambe de bois. Le degré de civilisation d'un pays se mesure non seulement à sa capacité à fournir une place à chacun, mais aussi à éviter des catastrophes économiques et sociales parfaitement prévisibles. Quand Louis Gallois parle de «prévention du risque», il joue au général d'infanterie qui, après avoir orchestré un joli massacre, se rachète une conduite en envoyant des secours aux survivants étendus sur le champ de bataille.

SH


[1] On rappelle que la moitié des salariés français gagne moins de 1.675 € nets par mois, un niveau de salaire médian qui s'explique par l'existence des allègements Fillon sur les bas salaires : de 1 à 1,6 Smic, tout ou partie des cotisations sociales des employeurs étant prises en charge par l'Etat, pourquoi les payer plus ? Cette aubaine, qui coûte déjà chaque année 21 milliards d'euros à la collectivité, fait de la France la championne du salaire minimum (notre taux de Smicards est le plus élevé des pays de l'OCDE).

[2] Depuis trente ans, les entreprises bénéficient d'une multitude d'allègements et d'exonérations assumés par l'Etat et la Sécu, autant de dispositifs inévalués qui ont connu une progression de près de 60% en dix ans.
Résultat : aujourd'hui, l'Etat offre chaque année aux entreprises — surtout les grosses — plus de 170 milliards de cadeaux en niches fiscales, sociales et autres «dispositifs dérogatoires» sans contreparties notables sur l'investissement et l'emploi. Ce montant ahurissant représente 9% du PIB.

[3] Exemple d'expérimentation, les chômeurs en guise de cobayes :
«Les réformes structurelles qui commencent par générer des coûts avant de produire des avantages, peuvent se heurter à une opposition politique moindre si le poids du changement politique est supporté dans un premier temps par les chômeurs. En effet, ces derniers sont moins susceptibles que les employeurs ou les salariés en place de constituer une majorité politique capable de bloquer la réforme, dans la mesure où ils sont moins nombreux et souvent moins organisés.»
OCDE - Perspectives de l’Emploi - «Stimuler l’emploi et les revenus» (2006)



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