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Accueil La revue de presse Précarité subjective : comment ne pas perdre pied quand son emploi est condamné ?

Précarité subjective : comment ne pas perdre pied quand son emploi est condamné ?

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Cela peut durer des mois, voire des années. La menace de fermeture plane, et les salariés continuent de travailler sans avoir la moindre idée du sort qu'on leur réserve.

Pascal travaille depuis vingt ans chez PSA à Aulnay (Seine-Saint-Denis), et à la chaîne : «La fermeture, j’y pense tout le temps. Là, je me suis mis en arrêt, j’ai du mal à l’usine. Mieux vaut pas que je me demande pourquoi je travaille, sinon j’arrête. Il n’y a aucune motivation. Les autres, ils continuent par habitude.»

L’usine ferme en 2014. D’ici là, les salariés doivent continuer à assembler, peindre, contrôler les C3 pour qu’elles puissent continuer à rouler. Comment accomplir les mêmes gestes qu’à l’accoutumé, rester motivé, ne pas perdre pied quand on sait son emploi en sursis ?

«Quand il y a de la colère, c’est bon signe»

Le jour de l’annonce officielle de la fermeture du site d’Aulnay le 12 juillet 2012, sur le parking, l’abattement dominait. L’équipe de l’après-midi avait même été travailler. Certes, la nouvelle avec fuité auparavant. Mais surtout aucune précisions n’étaient données. Quand ? Avec quels reclassements ? Quel accompagnement ?

Matthieu Poirot, psychologue social, parle d’«impuissance apprise» : «Quand on est dans l’incertitude, sans informations sur ce qui va se passer, on ne peut plus gérer le changement.» Consultant, il est mandaté par la direction ou par des entreprises qui ferment «pour accompagner le management ou comme médiateur avec les syndicats». Ce qui le frappe, c’est l’absence de colère chez les salariés : «Il n’y en a pas tant que ça. Quand il y en a, c’est plutôt bon signe. Mais ce que je vois, ce sont plutôt des troubles anxieux et de l’abattement.»

Ce qui peut avoir un impact sur la performance globale de l’entreprise, note Matthieu Poirot : «Les gens ne respectent plus forcément les règles de sécurité. Des lignes de production peuvent être cassées pour ralentir la production et la garder dans l’usine.» Ou pour protester, de manière désespérée, contre la fermeture annoncée.

«Je pleure devant les patients, tant pis»

Ingrid préfère témoigner sous pseudo. La quadragénaire s’occupe de l’administration dans une entreprise de presse en redressement judiciaire : «C’est le bénéfice du doute qui fait que je continue. Il y a éventuellement un repreneur, on le saura en mars.» Au mieux, il y aura des licenciements dans l’entreprise. Au pire, aucun des repreneurs potentiels ne sera validé par le juge. Ambiance...

En attendant, la société «avance au ralenti». Ingrid diffère des rapports annuels qu’elle aurait dû rédiger : à quoi serviront-ils ? «Notre directeur est focalisé sur la recherche d’un repreneur, c’est normal, il s’en fiche des tableaux d’analyse du chiffre d’affaires ou des calculs de ce genre.» Ingrid ne peut pourtant pas s’empêcher d’en réaliser quelques-uns, de ces tableaux, sans que personne ne les lui demande cette année. Par curiosité ou par conscience professionnelle (elle hésite).

Effectuer les mêmes tâches, continuer à travailler... Pour certains, ce n’est pas possible. Comme dans les métiers de services aux autres, notamment de soins, constate Valérie Tarrou, psychologue du travail qui reçoit des salariés en souffrance : «Dans ces métiers, il faut garder une distance émotionnelle. Or, les personnes qui vivent des périodes difficiles n’y arrivent plus. L’une d’entre elles m’a même dit : “Je pleure devant les patients, tant pis, ils me voient pleurer”.»

Pour d’autres, au contraire, c’est presque reposant. Comme pour Patrice, chez PSA : «Je me demandais comment les gens pouvaient continuer à bosser. En fait, ça fait une espèce de point fixe, sinon c’est quand même le vide partout.» Y compris pour les militants CGT comme lui, qui passent, depuis l’annonce officielle de la fermeture, une bonne partie de leurs journées à essayer de convaincre les collègues de se mobiliser : «Pour les militants de l’usine, les moments de travail à la chaîne soulagent, finalement. C’est un moment un peu carré, où on ne pense pas trop à autre chose.»

«On a un projet, c’est déjà ça»

C’est l’une des principales préoccupations évoquées par les personnes interrogées : les tensions avec les collègues, la difficulté à s’entendre sur l’attitude à adopter, les désaccords dans la détresse. Pour Karim, lui aussi à Aulnay : «Quand je viens au travail, je suis dégoûté, même avec les collègues je suis dégoûté. Qu’est-ce que je peux leur dire ? Vous êtes des lâches ? Y’a plus aucune motivation.» Pascal, syndicaliste, repense la nuit à tous les collègues qu’il a voulu convaincre. Il se repasse les arguments qu’il a utilisés, se dit qu’il aurait pu faire mieux, en cherche de plus percutants.

Dans son entreprise de presse, Ingrid, elle, a fait partie d’un projet de Société coopérative et participative (Scop). L’idée a divisé l’équipe, créé des tensions entre collègues. Sans pour l’instant déboucher : «On a envoyé notre projet à l’administrateur et au juge pour qu’ils le soumettent au repreneur, c’est limité comme moyen d’action, mais c’est déjà ça : nous avons un projet pour notre entreprise.» Le problème, pour Ingrid, c’est de ne pas savoir qui sont les candidats à la reprise, quels sont leurs projets. De ne pas pouvoir s’opposer. De ne pas pouvoir prendre parti.

«Il faut avoir une communication de grands»

Matthieu Poirot, quand il est appelé à la rescousse par des PME comme par des grands groupes, essaie d’alerter ses clients : «Je les entends souvent dire qu’il faut y aller doucement, ne pas tout dire d’un coup, pour que les salariés “digèrent”. C’est une idée fausse. Il vaut mieux dire les choses clairement, pour que les gens matérialisent la chose ou puisse faire leur deuil. Il faut avoir une communication de grands.»

La psychologue du travail Valérie Tarrou confirme : «La source de la souffrance, c’est de ne pas comprendre ce qui est en train de se passer. Ça donne des arrêts de travail, qui ne sont pas de mauvaise foi, mais parce que ce n’est pas possible de tenir.»

Le consultant conseille de partager avec les salariés les scenarii qui se présentent réellement — le catastrophique (l’entreprise ferme), le neutre (une solution temporaire trouvée pour le moment) ou l’optimiste (un repreneur). «Au moins ça permet des référentiels. Chacun prend le scenario qu’il veut et se prépare.»

Se taire : une catastrophe

Mais ses clients se montrent peu réceptifs : «Je pense que les managers évitent de passer l’information parce qu’ils se sentent coupables et parce qu’ils cherchent à éviter l’émotion que ça suscite. Ils comprennent les deux positions, celle de la direction et celle des salariés, et pour réduire cette tension, ils vont faire un choix alors que leur rôle, c’est d’être l’intermédiaire.»

De plus en plus aussi, Matthieu Poirot rencontre des directions qui demandent aux managers de se taire. Une catastrophe, déplore-t-il : «Dans ces cas-là, des rumeurs circulent. Les gens commencent à se faire leur scenario. C’est inévitable. La direction ne peut pas ne pas communiquer. Ne rien dire dit quelque chose. On pense que la direction cache quelque chose. Et même si, ensuite, elle décide de divulguer son scenario, les gens préfèreront croire celui qu’ils se sont forgés et auquel ils se sont attachés.»

Sur certains sites que visite le consultant, les salariés attendent depuis deux ans. Sans avoir la moindre idée de ce qui est en train de se décider.

(Source : Rue89)

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Mis à jour ( Lundi, 11 Février 2013 17:25 )  

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