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Accueil La revue de presse L'oligarchie nous mène une guerre sans merci

L'oligarchie nous mène une guerre sans merci

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Le documentariste Antoine Rost consacre une seconde interview à Yves Barraud (1). Bilan de 7 mois de mobilisations sociales. 

altAntoine Rost : Il s’en est passé des choses depuis notre premier entretien de novembre 2018. Vous affirmiez alors : «Le mouvement Gilets Jaunes lui aussi va s’essouffler. […] Il n’y aura assurément pas de victoire». Qu'en pensez-vous aujourd'hui ?

Yves Barraud : Je me suis trompé car je ne pouvais envisager un tel sursaut contestataire en France. Après quinze ans de militantisme, j’estimais que tout était verrouillé, que l’oligarchie et ses nervis, principalement les médias, contrôlaient totalement la situation et qu’on s’acheminait doucement mais sûrement vers ce Nouvel Ordre Mondial que nous promettent nos oligarques, «auquel personne, je dis bien personne, ne peut s’opposer», selon la formule désormais célèbre de Nicolas Sarkozy.

Je pensais la bataille perdue. Elle n’était pas loin de l’être…

A.R. : J’ai vu que vous vous étiez rapidement rangé aux côtés des Gilets Jaunes…

Y.B. : Dès le 24 novembre ! En me rendant sur les Champs-Élysées avec quelques camarades, j’ai vu des centaines, des milliers de femmes, de retraités et d’hommes plus jeunes bien sûr, se faire gazer de lacrymo et assourdir de grenades de désencerclement. Une répression intense sans mobile, juste pour terroriser les mécontents, les disperser coûte que coûte. Le pouvoir a eu très peur de la colère populaire en novembre et décembre 2018.

Puis, on a dénombré les premiers blessés, ces éborgnés, ces amputés, ces gueules cassées… Là, ma religion était faite. Que les Gilets Jaunes soient d’extrême droite, de droite, du centre, de gauche, d’extrême gauche, je m’en foutais. Ma place ne pouvait être qu’à leur côté.

Depuis le 24 novembre, j’ai participé à toutes les manifestations parisiennes que j’ai couvert en vidéo pour tenter de contrer la doxa oligarchique et médiatique qui s'est acharnée à minimiser la mobilisation, mentir sur le nombre des manifestants et les intentions des Gilets Jaunes accusés d'être d’ultra-droite, d’ultra-gauche, homophobes, racistes, antisémites…

En 32 actes, je n’ai rien vu de tout cela où de façon marginale, anecdotique. Quand on réunit 30.000, 40.000 ou 70.000 personnes dans les rues, on peut s’attendre à quelques dérapages incontrôlés…

A.R. : 3.000 ou 5.000 personnes, vous voulez dire. La mobilisation a été plutôt faiblarde sur Paris à en croire le ministre de l’Intérieur Castaner…

Y.B. : Ce gouvernement, ce ministre et les médias aux ordres sont des menteurs. Je l’ai démontré en plaçant une caméra sur les parcours des manifestations des 19 janvier et 23 février. On voit défiler les manifestants pendant 35 ou 40 minutes face caméra. J’ai compté entre 30.000 et 50.000 personnes quand Castaner annonçait 3.000 à 5.000 participants. Un rapport de 1 à 10.

Et le 16 mars, combien y avait-il de Gilets Jaunes sur les Champs-Élysées ? 7.000 à en croire les médias ou dix à douze fois plus ? Si nous n’avions été que quelques milliers, les débordements auraient été contenus et limités. Là, pendant 6 heures, la situation fut hors contrôle, comme en décembre où j’ai suivi les milliers de casseurs qui ont partiellement dévasté les XVIe et VIIIe arrondissements.

Je précise bien «partiellement» car ils auraient pu tout brûler, tout saccager sur leur passage. Ils ne se sont attaqués qu’aux agences bancaires, à quelques chantiers et voitures de luxe. Je n’ai pas vu l'ombre d'un uniforme pendant plus de deux heures entre Trocadéro, Place Victor Hugo et avenue Foch, les quartiers les plus friqués de la capitale.

A.R. : Actuchomage a donc épousé totalement la cause Gilets Jaunes…

Y.B. : Comment pouvait-il en être autrement ? Nous sommes probablement la seule association de défense des droits des chômeurs et précaires à s’être autant investi sur le terrain. Nous avons réalisé plusieurs dizaines de vidéos et clips militants vus des centaines de milliers de fois sur Youtube et Facebook.

Notre réalisation sur les vrais chiffres des manifs parisiennes a été visionnée plus de 500.000 fois. Celle sur la popularité des Gilets Jaunes (lorsqu’ils manifestent au dessus du périphérique parisien) plus de 600.000. Et ainsi de suite. Le moindre clip de promotion d’une journée de mobilisation (du 16 mars ou du 22 juin) a été visionné par 50.000 ou 100.000 personnes. C’est à l’aune de ces audiences qu’on mesure la dynamique du mouvement et son enracinement. Les Gilets Jaunes ne connaissent pas l’existence d’Actuchomage, pas plus qu’ils ne me connaissent, mais des dizaines de milliers, des centaines de milliers, ont vu à un moment ou un autre une de nos réalisations.

A.R. : Ce satisfecit virtuel ne saurait masquer une impuissance bien réelle sur le terrain. Qu'en déduisez-vous ?

Y.B. : J’ai été déçu. J’ai fait campagne pour le Frexit et l’UPR de François Asselineau, parti dont je ne suis pas adhérent, qui a fait un score piteux aux élections européennes alors qu'en Grande-Bretagne le camp du Brexit a confirmé son leadership à plus de 30%.

Si Emmanuel Macron a mieux résisté qu’on pouvait l’imaginer, le score de la liste LREM/Renaissance est minable. Le président s’est totalement investi dans la campagne après avoir bénéficié de trois mois de battage médiatique autour du Grand Débat (dont il n’est rien sorti). Pourtant, la liste de Nathalie Loiseau n’a réuni que 11% des inscrits, 22% des votants. Autrement dit, 89% des inscrits n’ont pas soutenu la «majorité» présidentielle. Quel désaveu !

Dans leur aveuglement partisan, les médias mainstream et leurs éditocrates ont pourtant soutenu que Macron a «consolidé» son socle électoral… avec 11 électeurs sur 100. Quelle bouffonnerie !

A.R. : Mais le mouvement Gilets Jaunes n’a pas réussi à s’affirmer politiquement… Les observateurs en ont déduit qu’il allait s’éteindre. Depuis les élections, les mobilisations déclinent.

Y.B. : C’est normal après 7 mois de calomnies, de répressions, de violences, de gardes à vue arbitraires, de blessures, d’arrestations préventives, d’amendes à 135 €… et plus de 30 jours de manifestations. Trente jours ! Sans compter des mois d’occupation de ronds-points, une multitude d’actions menées en semaine devant les sièges sociaux des entreprises du CAC 40, des grands médias, des tribunaux, des commissariats… Jamais nous n’avons connu pareil mouvement social. Le dernier acte, le 32, indique une remobilisation des troupes sur les péages autoroutiers, aux frontières et toujours dans les grandes métropoles (Bordeaux, Toulouse, Paris…).

Le mouvement n’est pas prêt de s’éteindre. Des centaines de milliers de personnes, des gens simples, gentils, bosseurs, d’un naturel plutôt crédule et manipulable, ont pris la mesure du complot oligarchique qui les détourne depuis des années de leurs propres intérêts…

A.R. : Ah, ça y est. Le complotiste Yves Barraud s’exprime…

Y.B. : Absolument. J'assume ! Le mouvement Gilets Jaunes confirme sans contestation qu’une oligarchie minoritaire est prête à tout pour conserver un pouvoir sans partage.

Emmanuel Macron et ses amis, cette mouvance qui réunit 11% des inscrits, contrôlent la totalité des pouvoirs exécutif, législatif, médiatique et bien entendu économique et financier, ne l’oublions pas. Et alors que le président a annoncé à grand renfort de déclarations et de projets de lois vouloir lutter contre la diffusion de fake news, de fausses nouvelles, d’infox (pour informations toxiques), nous avons été écrasés sous une avalanche de contrevérités, de calomnies, de diffamations, de mensonges, une désinformation hallucinante qui relève de la pure propagande, de la manipulation de masse.

L’oligarchie a tout fait pour décrédibiliser ce mouvement qui s’attirait une énorme sympathie populaire à plus de 80% d’opinions favorables.

Car comme je l’ai écrit à plusieurs reprises, ces «abrutis» de Gilets Jaunes posent les bonnes questions, celles qui dérangent. La première étant : Pourquoi en sommes-nous arrivés là ?

Comment se fait-il que la France, sixième puissance mondiale, première destination touristique, pays qui – avec quelques autres –  a édifié la civilisation occidentale, a éclairé le monde par ses innovations scientifiques, techniques, technologiques, par sa créativité architecturale, artistique, littéraire d’exception… Comment se fait-il que ce pays de cocagne, aux terroirs d’une diversité infinie, aux paysages superbes, au peuple travailleur et inventif… Pourquoi sommes-nous à ce point endettés ? À qui devons-nous rembourser ces milliers de milliards d’euros ? À qui versons-nous les intérêts de cette dette abyssale qui, à eux seuls, par leur montant faramineux, annihilent toute capacité de redéploiement industriel, civilisationnel devrais-je dire.

A.R. : Qu'entendez-vous par-là ?

Y.B. : On nous serine depuis dix ans, quinze ans maintenant, avec cette transition écologique qu’on nous annonce inéluctable, vitale, urgente. Mais qu'attendons-nous pour l’engager ?

Ce n’est tout simplement pas possible ! Nous ne pouvons pas rembourser une dette colossale et financer une transition dont dépend l’avenir de l’humanité. La seule perspective que nous proposent les amis de Macron est de nous enliser plus profondément encore dans le capitalisme absolu et dévastateur, dans l’ouverture des frontières et des marchés à la libre circulation des hommes, des marchandises et des capitaux, dans la privatisation des services publics (ou leur disparition pure et simple), dans la vente à la découpe de l’industrie française, dans les taxations tous azimuts… Dans ce Nouvel Ordre Mondial «auquel personne, je dis bien personne, ne peut s’opposer» (Nicolas Sarkozy). L'affaire est entendue !

Instinctivement, inconsciemment aussi, les Gilets Jaunes se refusent à cette échéance dévastatrice qui conduit le monde à sa perte.

Je conclurai cet entretien par quelques citations tirées de «1984» de George Orwell que j’ai relu l’été dernier en prémonition du mouvement lancé en novembre 2018. Comme quoi il n’y a pas de hasard…

Rédigées dans les années 40, elles sont d’une intemporelle pertinence. Laissez-moi vous les lire accompagnées de mes commentaires :

«Ils se révolteront que lorsqu’ils seront devenus conscients et ils ne pourront devenir conscients qu’après s’être révoltés».

Cet antagonisme refondateur est en chaque Gilet Jaune. Pour certains, la révolte mène à la conscientisation. Pour d'autres, la conscientisation conduit à la révolte. Pour tous, l’insurrection conscientisée s’impose face à une oligarchie qui, de gauche et de droite, maçonnique et trotskiste, médiatique et financière, se dresse comme un seul homme pour conserver et renforcer son suprémacisme sur les masses.

Nous sommes bien en guerre contre des gens qui nous refusent le droit d’exister en dehors d’eux et veulent nous enfermer dans une vision du monde qui n’est pas la nôtre.

Cette minorité, ce 1% de la population, s’offusque que les 99 autres pourcents se révoltent contre l’instauration insidieuse de la dictature d’un ministère de la vérité autoproclamée et sa police de la pensée unique. Si vous avez l’outrecuidance de les contester, vous serez accusé de sédition, après avoir été au préalable taxé d’homophobie, de racisme, d’antisémitisme, de déviances populistes, complotistes, fascistes, voire nazies.

L’oligarchie tente de nous cadenasser, de nous délégitimer, usant de l’ingénierie accusatoire et culpabilisatrice qu’elle expérimente avec succès depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale pour mieux nous soumettre.

Comme je l’ai affirmé plus tôt : La conscientisation des Gilets Jaunes est irréversible, comme leur détermination à briser le carcan de leur oppression mentale.

George Orwell, ce grand visionnaire, nous alerte des terribles menaces qui s’annoncent.

«L’idée lui vint que la vraie caractéristique de la vie moderne était non pas sa cruauté, son insécurité, mais simplement son aspect nu, terne et soumis».

Et il écrit aussi : «Un rayon JAUNE et oblique du soleil couchant entra par la fenêtre et tomba sur l’oreiller. Il ferma les yeux. Le soleil sur le visage lui donnait une sensation puissante, reposante, de confiance».

Voilà ce que je ressens au moment où je vous parle… [Sourires].  

© AlterView – juin 2019

(1) Président d'association, Yves Barraud milite en faveur de la défense des droits sociaux et de la rénovation de nos pratiques démocratiques (VIe République) depuis 15 ans. Il a créé et animé les sites Inter-emploi, Rénovation-démocratique et Actuchomage.

En 2007, l'hebdomadaire Marianne le classait parmi les 100 personnalités susceptibles d'incarner une alternative politique (sans lendemain pour ce qui le concerne).

Yves Barraud a exercé son activité de journaliste, rédacteur en chef et conseil en communication pour des médias mainstream et des multinationales. Ses analyses se fondent sur 35 années d'expériences au contact du top management industriel, commercial et médiatique. Citons : McDonald's, Nike, Groupe M6, Groupe Amaury (Le Parisien) et dans l'industrie du tourisme et du transport aérien, premier secteur d'activité économique mondial.  

Mis à jour ( Jeudi, 11 Août 2022 21:18 )  

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