Par Arnaud MONTEBOURG, député PS de Saône-et-Loire, vice-président de la commission des lois.

Le Premier ministre s'est répandu dans la presse pour vanter les mérites de son «contrat nouvelles embauches» (CNE), en insistant sur le fait que ce contrat était gagnant pour l'employeur comme pour le salarié : l'employeur y gagnerait une plus grande liberté de gestion de sa main d'oeuvre et le salarié y gagnerait un contrat plus stable (ce n'est pas un contrat à durée déterminée) et l'assurance d'être mieux pris en charge s'il vient à perdre son emploi. Ces propos doivent être ramenés à ce qu'ils sont : une vulgaire opération de communication, qui vise à masquer une pure et simple escroquerie, dans laquelle tout est donné à l'employeur au détriment du salarié.
Regardons en effet de plus près les termes de ce nouveau contrat et comparons-le avec le contrat à durée déterminée (CDD) actuel.
1. Auparavant, pour un salarié embauché en CDD, le terme du contrat était certes connu à l'avance, mais en contrepartie les salaires étaient évidemment dus jusqu'à ce terme : un employeur embauchant un salarié pour un CDD de 6 mois lui paie 6 mois de salaires, même s'il décide de se séparer de lui au bout du quatrième mois.
Désormais, le même employeur, en passant par un CNE, pourra se séparer de son salarié quand bon lui semble durant les deux premières années, avec une simple période, courte, de préavis (quinze jours si le salarié a entre 1 et 6 mois d'ancienneté, 1 mois si le salarié a entre 6 mois et 2 ans d'ancienneté).
2. Auparavant, pour un salarié embauché en CDD, en cas de séparation au terme du contrat, l'employeur versait une prime de précarité au salarié égale à 10 % des salaires bruts versés. Point important : cette prime de précarité était socialement imposable, ce qui signifie que l'employeur payait les cotisations sociales patronales correspondantes, portant le coût total de séparation non pas à 10 %, mais à environ 15 % des salaires versés.
Désormais, le même employeur, en passant par un CNE, versera une prime de licenciement à son salarié, égale à 8 % des salaires bruts versés, et une contribution au service public de l'emploi (ANPE et Unedic), égale à 2 % des salaires bruts versés. Cependant, cette prime de licenciement ne donne cette fois pas lieu à versement de cotisations sociales. En conséquence, le coût de licenciement pour l'employeur diminue très sensiblement, magnifique cadeau supplémentaire aux patrons fait au détriment des finances de la Sécurité sociale, qui comme chacun sait se portent à merveille !
3. Aujourd'hui, la plupart des travailleurs précaires, parce qu'ils enchaînent des contrats de travail très courts de façon discontinue, n'ont pas accès aux allocations chômage : seulement une personne sans emploi sur deux est indemnisée par l'Unedic.
Avec le CNE, monsieur Galouzeau de Villepin clame urbi et orbi que le salarié sera gagnant, car il sera mieux indemnisé en cas de perte d'emploi. Cette indemnisation complémentaire, que le gouvernement vient d'arrêter par décret, est la suivante. Si le salarié est licencié durant les 4 premiers mois, il n'a droit à rien. Si le salarié est licencié après 6 mois, il n'a droit à rien de plus, car il est éligible aux indemnités Unedic. Si le salarié est licencié avec 4 à 6 mois d'ancienneté, l'indemnité est forfaitaire (indépendante du niveau de salaire), de... 492€ pendant un seul et unique mois ! Cette somme, dérisoire, est à peine supérieure au RMI versé à une personne isolée (425 € par mois) ; elle est nettement inférieure au RMI versé à une personne vivant en couple ou ayant un enfant.
Résumons-nous : avec le CNE, dont la date d'entrée en vigueur a malencontreusement été fixée un 4 août, le gouvernement Galouzeau de Villepin octroie aux entreprises de moins de 20 salariés c'est-à-dire 96 % de l'économie française le privilège de licencier comme et quand bon leur semble durant les deux premières années d'embauche, pour un coût de licenciement sensiblement inférieur au coût de séparation d'un CDD, ce au détriment des finances de la Sécurité sociale. En échange de quoi, le salarié licencié reçoit, selon les cas, soit aucune assurance chômage supplémentaire, soit une assurance chômage d'un mois seulement, pour un montant forfaitaire proche de celui du RMI. Le CNE : un contrat encore plus précaire que le CDD ! Il est utile de rappeler que toutes les entreprises de dérégulation du droit du travail, engagées par tous les gouvernements de droite, sans exception, ont démontré qu'elles ne créaient aucun emploi et qu'il s'agissait en vérité de convaincre la population des salariés de faire son prétendu bien en portant atteinte à ses intérêts directs. Là est le ressort profond de l'escroquerie gouvernementale.
La France fait partie des pays européens ayant le record de la précarité au travail sans avoir jamais pu obtenir les contreparties en termes soit de revenu, soit de protection du parcours des salariés. On comprend pourquoi la France est dans un état de souffrance sociale avancée. Seul le gouvernement Jospin, par des mesures volontaristes (emplois-jeunes, réduction du temps de travail) s'était attaqué à la falaise du chômage de masse depuis vingt-cinq ans, en parvenant à faire reculer le chômage pour la première fois de façon significative, de plus de 12 % à moins de 9 % de la population active. Le gouvernement Raffarin a cassé cette dynamique positive, le faisant repasser au-dessus de la barre des 10 %. Avec le CNE, le gouvernement Galouzeau de Villepin entreprend aujourd'hui de renforcer la précarité professionnelle d'un tiers des salariés du secteur privé (ceux qui sont employés dans les petites entreprises) et ne manquera pas demain d'étendre son action à l'ensemble des salariés en ouvrant le CNE aux moyennes et grandes entreprises, comme le réclame dès à présent le Medef.
A cette politique de la droite, totalement idéologique, aveugle et néfaste, les socialistes une fois revenus au pouvoir devront opposer une démarche volontariste et innovante. La solution ne peut qu'employer la voie de la négociation et de la discussion politique collective, fixant les règles minimales d'un ordre public social où chacun trouvera son compte, et le salarié précaire d'abord le sien. Elle consiste à faire en sorte que l'employeur se voie responsabilisé dans ses décisions et qu'il prenne en charge une partie des conséquences des choix qu'il inflige à la collectivité : un licenciement est un acte certes parfois nécessaire, mais grave, dont le coût légal doit être, non pas amoindri, mais renchéri, sous la forme d'un dédommagement du salarié, mais aussi d'une contribution spécifique versée à la collectivité pour qu'elle puisse prendre en charge l'indemnité chômage, la formation et le reclassement du travailleur licencié. Oui, il est temps d'instaurer en France une véritable sécurité sociale professionnelle. Les socialistes devront enfin s'y atteler sérieusement.
Tribune parue dans Libération du 19/08/05.
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Commentaires
A lire également l'ANALYSE COMPLÈTE de Gérard Filoche datée du 12 août 2005 : le CNE, c'est une plus grande précarité à plus bas salaire, de fausses garanties qui sont des reculs, un non droit total dans les entreprises de moins de 5 salariés, la casse des «seuils sociaux», et un «forfait jour» pour tous… Un dispositif qui joue sur les instincts les plus bas et va à l'encontre des principes de l’OIT et de la Charte sociale européenne, et dont on envisage l'extension aux autres entreprises !
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"On pense qu'il pourrait y avoir un potentiel de 300.000 à 400.000 CNE qui pourraient être signés au total sur l'ensemble de la période" (à savoir jusqu'à l'échéance présidentielle de 2007), a-t-il dit sur France Info.
"On en est à peu près à un peu plus de 600 contrats qui ont été proposés dans les agences de l'ANPE entre le 4 août (jour de mise en place) et le 19 août. C'est à partir de maintenant, au mois de septembre, que les choses vont démarrer plus rapidement."
"Le CNE est une manière importante de lever les blocages psychologiques à l'embauche dans les petites entreprises", a affirmé Christian Charpy. "Il faut utiliser tous les moyens qui sont à la disposition des demandeurs d'emploi et des entreprises pour créer de l'emploi."
Le ministre de l'Emploi est également prudent sur l'évaluation du CNE. Interrogé mercredi par Reuters sur l'impact du contrat "nouvelles embauches" sur l'emploi, Jean-Louis Borloo a estimé que "le CNE n'est pas en fait un nouveau contrat, c'est une modalité du contrat de travail, c'est tout". "Je pense que les contrats de CDI (contrat à durée indéterminée) seront des CNE et que beaucoup de CDD (durée déterminée) seront des CNE parce que c'est objectivement les meilleurs (contrats) pour tout le monde", a ajouté Jean-Louis Borloo.
Le ministre a souligné qu'il serait difficile de faire la part des CNE dans l'ensemble des embauches car "il n'y a pas de demande de financement particulière" et que "les employeurs ne vont pas faire la démarche spécifique" de signaler qu'ils ont signé un CNE. Répondre | Répondre avec citation |
La grande escroquerie de Mr Galouzeau de V. est de prétendre sauvegarder le "modèle social français" qu'il est en réalité, sciament ou pas, en train de détruire un peu plus: outre le CNE, qui prive réduit encore les ressources de la secu et des caisses de retraite , la même opération est faite pour les exonération de cotisations des bas salaires qui ne seront pas compensées par l'Etat…alors que les entreprises n'ont aucun engagement d'embauche !
Il aurait été si facile d'accorder ces exonération "à postériori" avec contat de création d'au moins 1 salarié supplémentaire en CDI !
Par contre je trouve qu'il passe un peu trop vite de la pomade sur la politique de Lionel Jospin qui est restée très en deça de ce que devrait être une politique digne d'un parti socialiste alors qu'il a bénéficié d'un environnement economique mondial très favorable pendant les 3 premières années de son mandat.
- il a aussi pratiqué les exonéraions de charges sans contrepartie pour les PME
- Il aurait pu à partir de 2001 pratiquer une politique fiscale d'entreprise plu inscitative : par exemple réduire en partie l'impôt sur les société des entreprises qui augmnentent leurs investissements non financiers en France et surtaxer les autres, y compris via l'ISF. Taxer fortement les rachats d'actions. Si on veut le champ de l'imaginaire fiscal est infini !
Car on ne le dira jamais assez, la seule politique de l'emploi qui marche, c'est celle qui pousse les entreprises à investir ! pas celle qui encourage les rachats de leurs actions par les entreprises et stérilise l'épargne.
Bon, peut on espérer que ces petites idées seraient enfin mises en pratique, -comme Arnaud Montebourg le suggère - au cas où les socialistes reviendraient au pouvoir en 2007 …ou avant ? J'attendrai de voir la couleur pour voter … Répondre | Répondre avec citation |