Ce constat de l'Institut de Recherches Économiques et Sociales arrive à point nommé pour les sceptiques et les opposants au contrat "nouvelles embauches", mesure phare du "plan d'urgence pour l'emploi" de Dominique de Villepin, visant plus à faire reculer les chiffres du chômage que le chômage lui-même en offrant dès demain la possibilité aux entreprises de moins de 20 salariés de licencier un collaborateur durant une période de deux ans, sans avoir à justifier leur décision.
Pour le compte de la MIPES (Mission d'information sur la pauvreté et l'exclusion sociale de la région Ile-de-France), l'IRES a mesuré la progression de la pauvreté parmi les salariés du bas de l'échelle, menant son enquête auprès des acteurs de l'action sociale et des travailleurs pauvres eux-mêmes. Dans cette étude publiée fin juillet dans la Lettre de l'IRES, les quatre auteurs, Pierre Concialdi, Yves Lochard, Christèle Meilland et Mouna Viprey, ajoutent à la faiblesse des ressources salariales et à la taille des familles, facteurs déjà identifiés par l'INSEE, "la segmentation du marché du travail et la précarisation de l'emploi" comme facteurs d'explication du phénomène des "travailleurs pauvres".
LE cercle vicieux
L'IRES souligne qu'avec, de plus en plus souvent, "des statuts peu assurés n'offrant que de faibles garanties" (la précarité inhérente à l'intérim, aux CDD, aux piges, etc…), ces travailleurs se trouvent confrontés à "diverses difficultés sociales qui se cumulent et interagissent", pesant par exemple sur l'accès à un logement ou l'obtention d'un prêt. Ces "travailleurs pauvres" apparaissent "aux bailleurs comme des «personnes à risque» si bien qu'ils sont souvent contraints de se loger dans le parc privé dégradé, les hôtels meublés ou les Centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS)". L'équipe de chercheurs relève que ces travailleurs précaires ont ainsi affaire à des interlocuteurs (bailleurs, organismes bancaires, etc…) "gagnés par une exigence d'assurances - CDI, niveau de revenus - que ces personnes sont rarement en mesure d'offrir". Ces salariés se trouvent alors pris dans un "cercle vicieux" générateur de pauvreté qui complique l'accès à l'emploi et à un logement "stable".
Ce "cercle vicieux" avait déjà été identifié par le président d'Emmaüs-France, l'excellent Martin Hirsch, constatant qu'"un allocataire du RMI a souvent moins de ressources quand il reprend un emploi", ce qui peut être "désincitatif" pour la recherche d'un travail. Dans la présentation de l'étude, le directeur de l'IRES Benoît Robin souligne que "pour ces travailleurs pauvres, disposer d'un contrat de travail CDI stable et de longue durée est une des conditions sine qua non pour en sortir".
Cette analyse rejoint celle des syndicats dans leur critique du contrat nouvelles embauches qui risque d'entraîner, selon FO, une "explosion du contentieux, de la déréglementation et de la précarité". La centrale a d'ailleurs redit hier son opposition à un dispositif dont elle craint qu'il n'installe les salariés dans une "précarité durable" et leur interdise "l'accès au logement et aux prêts bancaires". De même, la CFTC estime que le CNE risque d'empêcher les salariés de "se projeter dans l'avenir, de trouver un logement, de contracter un prêt bancaire, de fonder une famille, de vivre sereinement".
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Hier, la CFDT a "réaffirmé sa ferme opposition à la logique contenue dans les ordonnances" et estimé qu'avec le plan d'urgence pour l'emploi "le gouvernement fait fausse route" : "A l'occasion de l'examen (ce mardi) du plan emploi au Conseil des ministres, la CFDT réaffirme sa ferme opposition à la logique contenue dans les ordonnances, ainsi qu'à la méthode", a déclaré son secrétaire général adjoint Jacky Bontems. Pour la confédération, "le plan d'urgence, à travers le contrat nouvelles embauches, renforce la flexibilité accordée aux entreprises au détriment des salariés". Ce CNE "ajoute de la précarité et de l'insécurité pour les salariés accentuant les inégalités dans le monde du travail", fustige la CFDT qui dénonce également "les mesures qui portent atteinte à la représentation des salariés en modifiant le calcul des seuils d'effectifs."
Pour Jacques Voisin, président de la CFTC, les nouvelles mesures pour l'emploi adoptées par ordonnances en Conseil des ministres constituent une "source de précarité et de développement de la pauvreté inacceptables". Il s'agit d'une "précarisation par ordonnance" : "Le gouvernement a choisi les ordonnances pour pouvoir, en période estivale, se soustraire à un vrai débat de fond sur les mesures les plus favorables à l'emploi et à la croissance", a-t-il ajouté. Selon lui, "le CNE légalise les licenciements, pendant deux ans, sans aucun motif ni contrainte", soulignant que ce contrat "autorise le fait du prince". "On ne construit pas la croissance sur la précarité. Ces ordonnances sont un leurre et ne vont pas développer la croissance, l'activité et l'emploi", a encore estimé M. Voisin, jugeant de surcroît que cette mesure "permet de faire reculer la représentation des salariés dans l'entreprise". "Le gouvernement n'a pas changé le traitement de notre société malade de son chômage. La justice sociale est toujours absente, et ce sont les salariés qui vont subir une expérimentation supplémentaire de nouvelles mesures ultra libérales", a-t-il conclut dans son communiqué.
Pour le NPS (Nouveau Parti Socialiste), le député Arnaud Montebourg estime aujourd'hui qu'avec les ordonnances sur l'emploi créant le contrat "nouvelle embauche", le gouvernement a "restauré le privilège de licencier". Faisant référence au 4 août 1789, date de l'abolition des droits féodaux, M. Montebourg juge dans un communiqué que "le gouvernement a choisi bien malheureusement la date symbolique du 4 août pour restaurer de façon autoritaire et par voie d'ordonnance le privilège de licencier, selon le caprice et le libre vouloir des employeurs, tous les salariés nouvellement embauchés pendant une durée de deux ans" : "Il vient d'offrir au patronat ce qu'il réclamait en vain depuis des décennies sans aucune contrepartie pour l'emploi et la sécurité des travailleurs".
Quant au premier secrétaire du PS François Hollande, il estime qu'avec ces ordonnances, "les outils sont en place pour déclencher une précarité nouvelle", mettant "en garde" le gouvernement Villepin contre le "grave risque d'ouvrir des conflits sociaux à la rentrée". Pour lui, avec les ordonnances sur l'emploi adoptées mardi en Conseil des ministres, les employeurs vont, plutôt que de recruter avec un contrat à durée indéterminée ou à durée déterminée, utiliser "ces formules nouvelles" et il "n'y aura pas d'embauches nouvelles" : "Nous avons un gouvernement qui, parce qu'il ne peut pas relancer la croissance, parce qu'il ne veut pas relancer la croissance, utilise des formules qui vont accroître la précarité sans relancer l'embauche", at-il poursuivi. "C'est aux salariés eux-mêmes de décider et aux syndicats de trouver les bonnes façons de marquer le mécontentement, parce qu'il y a de quoi (…) Nous serons dans notre rôle, nous serons dans l'opposition en responsabilité, en demandant au gouvernement d'écouter et en faisant des propositions", a conclut M. Hollande.
La LCR a hier aussi condamné ces ordonnances sur l'emploi adoptées en Conseil des ministres, appelant à "une riposte massive et interprofession nelle du monde du travail" : "Leurs conséquences, c'est la casse du code du travail et l'extension de la précarité du travail et des salariés", a-t-elle ajouté. "Une riposte massive et interprofession nelle du monde du travail s'impose. C'est ce qu'il faut construire dès à présent pour imposer leur retrait".
Le MEDEF, bien sûr, estime que les ordonnances du plan d'urgence pour l'emploi vont "dans le bon sens" car elles sont "fondées sur une analyse pertinente des freins actuels à l'embauche" et "apportent des réponses pragmatiques", a estimé sa présidente Laurence Parisot. "Les chefs d'entreprise n'ont qu'un désir, faire grandir leur entreprise, la renforcer, et donc embaucher", dit-elle. "Je pense que le contrat nouvelle embauche est aujourd'hui une première occasion pour la France d'enclencher, à partir de ses plus petites entreprises, le mouvement de croissance dont nous avons besoin", poursuit-elle, justifiant que "la mise en oeuvre rapide de ce contrat, dès le 4 août, montre l'urgence de la situation. Il est clair qu'il ne faudra pas s'arrêter là et que d'autres initiatives, relatives notamment aux prélèvements obligatoires, seront également nécessaires pour remonter la pente", selon elle. Répondre | Répondre avec citation |
L'association Française des Usagers des Banques (AFUB) a appelé mardi les banques à adapter leurs critères d'octroi de crédits pour éviter que les bénéficiaires du contrat nouvelles embauches, mesure phare du plan pour l'emploi du gouvernement, ne se voient refuser l'accès au crédit.
Les banques doivent "adapter leurs critères pour octroyer des crédits à la flexibilité de l'emploi, à l'instar de la pratique de leurs homologues étrangers, notamment en Belgique et en Grande-Bretagne", estime l'AFUB dans un communiqué.
L'association craint en effet que les bénéficiaires des contrats nouvelles embauches (CNE) se "voient refuser l'accès au crédit par des établissements toujours frileux" alors que le taux de non-recouvrement en France "est le plus faible d'Europe". (…)
…/…
C'est bien beau de le dire - merci l'AFUB ! - mais ce n'est pas elle qui décide.
La précarité (le "sous-emploi", comme la qualifie le sociologue Robert CASTEL) qui et induit la pauvreté devient la norme : 70% des emplois proposés aujourd'hui sont des emplois précaires (CDD, intérim). N'oublions pas non plus les bas salaires qui progressent et deviennent la norme du CDI : autour du SMIC (base des "contrat aidés") on ne peut pas s'en sortir, et ça ne vaut toujours pas le coup de travailler quand le fait d'avoir un emploi si peu lucratif et sécurisant laisse autant de portes fermées, à tous points de vue : banque, logement, et satisfaction des besoins élémentaires. Répondre | Répondre avec citation |
Par Marie-Joëlle GROS pour Libération.
«Laisser les gens en période d'essai pendant deux ans, c'est forcément l'idée d'un type qui ne connaît rien à la vraie vie !» Béatrice est révoltée. A 37 ans, elle est intérimaire, son mari intermittent du spectacle. Quand ils ont cherché un appartement à louer, ça a été la croix et la bannière. «Entre le statut de mon mari et l'en-tête de ma fiche de paie, on a dû batailler ferme…» Un administrateur de biens a finalement accepté de leur faire signer un bail, moyennant «deux garants !» «A mon âge, j'ai dû faire appel à ma mère et à mon frère… Je me sentais honteuse, minable. Franchement, ça ne tourne pas rond.»
Exigences. L'une de ses amies, 35 ans, mutée dans le sud de la France, «rame» elle aussi pour trouver un appartement à louer. Elle est en contrat à durée indéterminée, mais pas son mari qui l'a suivie et cherche un emploi dans leur nouvelle région. L'agence leur a réclamé les avis d'imposition de leurs parents… Face aux exigences croissantes des agences immobilières, difficile d'imaginer que ceux qui justifieront d'un «contrat nouvelles embauches», c'est-à-dire sans aucune garantie pendant deux ans, seront mieux traités.
Sophie est en contrat de qualification. On lui a refusé une carte de crédit à la consommation au prétexte que son statut ne présentait pas assez de garanties. Quant à décrocher un prêt bancaire, pour acheter un logement ou même une voiture, les salariés titulaires d'un contrat à durée déterminée, en intérim, en contrat de qualification ou tout autre forme de «petit contrat», doivent s'armer de courage, et oublier leur fierté. «Il est évident que la banque cherche à s'assurer de la pérennité du remboursement, forcément aléatoire avec tous les contrats de travail précaires, reconnaît Roland Roberdeau, délégué général du Syndicat national de la banque-SNB-CGC. Le banquier demandera à l'emprunteur de se tourner vers sa famille pour lui fournir une caution, ou exigera des garanties sur ses biens propres.» Comment faire quand on ne peut pas compter sur la solidarité familiale et qu'on n'a pas de «biens propres» ?
Explosion. L'emploi précaire se généralise, mais les règles du jeu des bailleurs et des banques restent inchangées. Il y a quelques mois, Martin Hirsch, président d'Emmaüs-France, a dénoncé ce «cercle vicieux» : la corrélation entre les contrats précaires et l'impossibilité d'accéder à un logement stable. L'étude que viennent de publier quatre chercheurs de l'IRES (Institut de recherches économiques et sociales) aboutit au même constat. «La segmentation du marché du travail et la précarisation de l'emploi», expliquent l'explosion du phénomène des «travailleurs pauvres». Ils travaillent, mais leur emploi ne leur permet pas d'échapper à la pauvreté.
En Espagne, où l'emploi précaire dépasse 30% (la moyenne européenne tourne autour de 15%), les banques sont moins regardantes qu'en France, et accordent des prêts à qui mieux mieux. Les Espagnols accèdent donc plus facilement à la propriété. Mais en s'endettant beaucoup. Répondre | Répondre avec citation |
Jean-Luc Porquet - Le Canard Enchaîné du 27/07/05 Répondre | Répondre avec citation |