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Chômage, Vertu refondatrice de la Société de demain

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Si certains s’évertuent à glorifier la «Valeur Travail» comme élément fondateur de la société contemporaine, il est temps d’ériger la «Valeur Chômage» en vertu refondatrice de la société de demain !



Suite de l'Acte 1 : «De la Valeur Travail à la Valeur Chômage» (aussi accessible dans les commentaires).

Il y a quelque chose qui ne tourne pas très rond dans la société d’aujourd’hui et, plus encore, dans la perception et les interprétations d’une de ses «valeurs-forces» (comme il existe des idées-forces) : le travail, ce sacro-saint travail qu’on élève au rang de divinité devant laquelle on se prosterne pour donner un sens à son existence.

Une génuflexion qui s’accompagnera d’une prière de circonstance :

Notre Père Travail qui êtes odieux,
Que ton nom soit sanctifié,
Que ton règne vienne,
Que ta volonté soit faite sur la Terre comme au Ciel.

Donne-nous aujourd’hui notre labeur de ce jour.
Pardonne-nous nos offenses au patronat comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés.
Ne nous soumets à la tentation (de l’oisiveté) et délivre nous du mal (du chômage).

Amen


Le travail est la pierre angulaire de tout l’édifice sociétal. Sans travail, l’existence n’est que vide absolu, ennui, désocialisation, abandon de soi et des autres et, pire, fainéantise.
Ceux qui en sont dépourvus ne seraient alors que des sous-femmes, des sous-hommes, des tarés, des malades mentaux comme l’avaient si élégamment exprimé les supporters du Paris Saint-Germain lors de la finale de Coupe de France qui opposa en 2008 leur équipe au Racing Club de Lens : «Pédophiles, Chômeurs, Consanguins… Bienvenue chez les Ch’tis».

Si cette banderole déployée au Stade de France stigmatisant la population du Nord-Pas-de-Calais a pris l'ampleur d’un scandale national, personne (exceptés les collectifs de défense des demandeurs d’emploi) n’a dénoncé l'outrage fait aux millions de chômeurs, désormais relégués au rang de déviants sexuels, de criminels violeurs d’enfants et de tarés congénitaux.
Si cet amalgame odieux n’a pas choqué outre mesure, c’est qu’il s’inscrivait dans la continuité d’une propagande politique initiée pendant la campagne des Présidentielles de 2007, par celui qui les remporta. Pendant de longs mois, avant et après les échéances électorales, le discours officiel visait à stigmatiser les privés d'emploi qui seraient des «profiteurs», des «fraudeurs» et, plus globalement, des fainéants «responsables» de leur situation.

Cette stigmatisation fut engagée dès 2005 (le 2 février très précisément) par le député UMP de la Creuse Jean Auclair, à l’Assemblée nationale, en ces termes :  «Mais ils ne veulent pas travailler, les chômeurs. Être payés à ne rien faire, c’est cela qui les intéresse !».

Avec la banderole du Stade de France, nous sommes passés au cran supérieur dans l’échelle des dénonciations nauséabondes : le mot «chômeurs» est devenu une insulte, au même titre que «pédophiles» ou «consanguins», sans que cela ne choque personne. Et, dans tout le battage médiatique qui a suivi l'affaire PSG/Racing Club de Lens, il ne s’est pas trouvé un politique ou un journaliste pour dénoncer cet amalgame.

Guy Delcourt, le député-maire socialiste de Lens qui a porté plainte, s’est offusqué maladroitement : «Nous traiter de chômeurs consanguins, de pédophiles, je suis humilié», entérinant par sa formule la connotation injurieuse du mot «chômeurs», d'emblée assimilé aux deux autres termes et accepté implicitement comme tel.

Les dérives sémantiques de cette stigmatisation auraient pu s’amplifier plus encore si la Crise de 2008/2010 n’avait rappeler à chacun que le chômage n’est pas une tare mais bien une conséquence des fluctuations économiques sur lesquelles ses victimes n’ont peu ou pas de prise.
L’histoire récente a souligné que les décisions se prennent ailleurs, loin des ateliers et des usines. Les plans de licenciements massifs, les restructurations et autres compressions de personnel se décident à des milliers de kilomètres de là où le couperet du chômage va frapper, à l'image de ces missiles de croisière qu’on dirigent d’une salle de commandement du Pentagone, à Washington, sur les bunkers de la garde prétorienne de Saddam Hussein.

Mais cette perception dévalorisante de l’inactivité professionnelle forcée ne date pas des années 2000 même si Nicolas Sarkozy s’en est largement inspiré pour construire sa propagande électorale et fonder ses premières initiatives de Président de la République. Dès les années 80, Claire Villiers co-fondatrice d’Agir ensemble contre le chômage (AC !), décédée trop tôt, avait parfaitement saisi la prime perception infamante du mot «chômeur».

Alors qu’elle distribuait des tracts à la sortie d’une usine, appelant les ouvrières licenciées à rejoindre les collectifs de chômeurs pour défendre leurs droits, elle s’entendit dire par ces femmes mises à porte : «Mais nous, Madame, nous ne sommes pas des chômeuses ! Nous sommes des licenciées économiques !».

Cette anecdote suffit à démontrer à quel point le mot chômeur est porteur d’images négatives, infamantes, dévalorisantes, qu’un grand nombre de concernés cherchera à effacer ou, à défaut, à camoufler. En dépit de son engagement remarquable et sans faille en faveur des chômeurs et des précaires, la même Claire Villiers jugeait donc improbable de les mobiliser en masse, tant cette «étiquette chômeur» est mal supportée par celle ou celui qui en est affublé. «Quand on se retrouve chômeur, qui est déjà une étiquette infamante, on a pour préoccupation de ne pas y rester. Beaucoup disent "je suis licencié" mais pas "je suis chômeur". On s’organise en tant que chômeur quand le chômage dure : mais s’organiser, c’est se projeter dans l’avenir. Et y a-t-il un avenir dans le chômage ?».

Si à ce constat étayé par des décennies de militantisme, on ajoute un discours dominant visant à tenir les sans-emploi pour responsables de leur situation, on comprendra aisément qu’il paraît aujourd’hui incongru d’associer les mots «chômeurs», «heureux» ou «décomplexés».

D’autant que ce travail si convoité, si espéré, si désiré, devient un véritable cauchemar, un objectif inatteignable, un chemin de Croix, un purgatoire, une punition injuste infligée à celui qui n’aspire qu’à une chose : Travailler.

Ceux qui n’ont pas connu le chômage de longue durée ne peuvent pas comprendre le calvaire enduré par celles et ceux qu’il touche. Ces dernières années, la presse a réservé ses gros titres aux suicides dans de grandes entreprises comme Renault ou France Télécom/Orange… Mais, pour un salarié mettant fin à ses jours, combien de chômeurs s’y sont abandonnés ?
À notre connaissance, il n’existe pas de statistiques portant sur les causes réelles des 10.000 à 12.000 décès par suicides constatés chaque année en France, car la plupart des désespérés ne justifient pas leur geste. Leur motivation reste confuse. Même s’ils l’expliquaient, bien des désespoirs (maladies, dépressions, revers financiers, tensions familiales, séparations…) sont directement déterminés par la perte d’un emploi ou par les difficultés d’en retrouver un.

Un fait semble cependant avéré : Il existe une forte corrélation entre la dégradation de la situation économique (donc de l’emploi) et le nombre de suicides, notamment chez les hommes de 40 à 60 ans qui constituent la population la plus exposée à une disparition prématurée.

Et voilà comment on introduit des réflexions consacrées au chômage heureux et décomplexé, par le chômage facteur de désespoirs, facteur de maladies et d’angoisses, fauteur de morts. Cependant, ce rappel à la réalité s’impose tant il serait indécent, scabreux, mensonger, de parler du chômage comme d’une parenthèse s’ouvrant sur une période sereine et enthousiasmante, et se refermant par «l’happy end» d’une reprise d’activité. Comme si de rien n’était…

Votre serviteur ne peut s’adonner à pareille malhonnêteté intellectuelle. Il est trop bien placé pour évaluer les dégâts directs et collatéraux d’une période d’exclusion professionnelle généralement non désirée, subie, infligée et souvent injuste. Depuis 7 ans, il patrouille sur les forums de sites Internet où des milliers de chômeurs expriment les maux qui les minent, ce désespoir qui les ronge, ces imbroglios administratifs qui leur complexifient un peu plus le quotidien, ces doutes qui les assaillent, cette exclusion dans laquelle ils s’enfoncent à mesure que le temps passe, que l’espoir de retrouver un job s’amenuise et que la stigmatisation s’installe dans leur entourage familial et amical.

Le chômage est par essence, pour la majorité des individus qu’il touche, un traumatisme qui aura une multitude de répercussions négatives, à commencer sur l’image qu’on a de soi, l’image que l’on donne de soi, l’image des chômeurs que les médias et politiques renvoient à l’opinion… toutes détériorées, abîmées, dévalorisées. Et, même si ces réflexions n’ont pas pour objet d’énumérer les souffrances qu’engendre un chômage subi, nous ne pouvons les passer sous silence, les minimiser ou les occulter purement et simplement.

Comme nous l’avons vu plus haut, il y a sans doute des centaines de personnes, en France, qui mettent fin à leurs jours ou tentent de le faire à la suite d’un chômage qui a brisé net l’élan de leur existence. Ne nous voilons pas la face…

Jean Pransoin pour Actuchomage.org

Épisode 3 : «Intellectualiser le chômage ne fait pas avancer le schmilblick»

Mis à jour ( Lundi, 03 Décembre 2018 15:06 )  

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