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Accueil La revue de presse Edmund S. Phelps, prix Nobel d'économie 2006

Edmund S. Phelps, prix Nobel d'économie 2006

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Nobel 2006 d’économie, croissance, salaires et misère...

Ces temps-ci, l’actualité nous sert souvent la question du pouvoir d’achat, en conjonction avec des considérations plus habituelles sur la précarité, la pauvreté et le marronnier qui l’accompagne, sur les profits et revenus des actionnaires et dirigeants. La semaine dernière, l’hebdo Marianne évoquait, sous la plume de son directeur de la rédaction, une supposée bombe à retardement pouvant déterminer le cours de l’élection présidentielle. Le document en question provient de l’INSEE, un amas de chiffres sur la rémunération des travailleurs. Les employés sont mal payés, paraît-il. Oui, certes, mais sera-ce pour autant un thème dominant la campagne de 2007 ? Rien n’est moins sûr.

Dans le même numéro de cet hebdomadaire, un billet de Jacques Cotta évoque la condition des travailleurs les plus pauvres, certains étant SDF, avec des chiffres édifiants à la clé, éclairés par enquêtes plus précises sur ces «cas sociaux» rencontrés par ce journaliste d’investigation, qui vient par ailleurs de publier un libre roboratif chez Fayard au titre explicite, "Sept millions de travailleurs pauvres, la face cachée des temps modernes". Cet ouvrage pourrait contribuer à l’hypothétique bombe à retardement de 2007. Le Français attentif ne peut que constater les faits autour de lui, dans son entourage, puis les relier aux chiffres économiques officiels. Il voit bien comment se porte le commerce du luxe, l’immobilier, alors que parmi ses connaissances, il apprend comment certains vivent de peu, sont exploités en CES ou intérim, et si ce n’est pas le cas, alors il voit la misère dans la rue ou les reportages du petit écran, ou bien lit la presse écrite s’il a la volonté de s’informer. Si son entendement n’est pas perverti ou détraqué, alors il comprend qu’une aberration touche le système économique depuis deux décennies et que rien ne semble fait pour l’infléchir, à l’instar d’une myopie grandissante que l’on corrige sans modifier les verres correcteurs.

Les profits grandissent, le luxe se porte bien, la France s’enrichit mais la pauvreté augmente. Ou bien nos politiciens sont myopes, ou bien ils n’ont pas la possibilité de corriger cette aberration économique. Quant à la bombe électorale, on la mettra en doute si l’on observe avec soin le scrutin municipal des élections bordelaises. Dans le quartier des Aubiers, concentration de précarité, la participation a été d’à peine un quart, alors que près de la moitié des électeurs se sont déplacés dans le quartier des hôtels particuliers ou encore les zones qui, par l’action d’Alain Juppé, se sont embourgeoisées, la Bastide par exemple. Les pauvres votent peu, sont peu visibles et comme aux Etats-Unis, on risque d’assister à ce phénomène de segmentation démocratique, les électeurs étant composés des classes moyennes et supérieures et les précaires, dépités, ne croyant plus en la politique. De plus, le phénomène de paupérisation ne favorise guère la participation citoyenne, celle-ci nécessitant un accès à la culture politique, sociale, ainsi qu’aux moyens d’information. Pour s’impliquer dans la vie citoyenne, il faut un minimum de moyens, mais aussi de désir, et c’est aussi ce qui manque à ceux dont l’existence est devenue une lutte pour survivre et assumer ses créances (et s’occuper de ses enfants).

Alain Juppé, facilement réélu à Bordeaux, participa à une session des rencontres économiques d’Aix-en-Provence en 2005, en compagnie d’Edmund S. Phelps, économiste peu connu du grand public mais cela va s’améliorer, car il a reçu lundi 9 octobre 2006 le prix Nobel pour ses travaux sur l’innovation et la croissance économique. Phelps, nous le retrouvons dans un billet du Figaro où il expose la thèse des deux types de capitalisme, l’un anglo-saxon et l’autre continental (celui de l’Europe), en défendant sans équivoque le premier. Cette opposition n’a rien de nouveau, elle perdure depuis plus de vingt ans. Il faut rappeler que le capitalisme anglo-saxon désigne le système mis en place par Thatcher et surtout Reagan. Au tournant des années 1990, les doutes ont envahi les Anglo-Saxons sur leur capacité à défier le Japon et l’Europe. En 1991, Michel Albert éclairait cette opposition entre les deux capitalismes, le néo-américain et le rhénan, exemplifiant ainsi ce système productif propre à l’Europe, alliant les partenaires sociaux et considéré comme social, par rapport à son concurrent jugé individualiste (lire "M. Albert, Capitalisme contre capitalisme", réédité au Livre de poche). Non sans souligner la séduction exercée par le premier et le virage intermédiaire pris alors par la France. Depuis, l’histoire a pour ainsi dire tranché. Les capitalismes continentaux, auxquels on associe le suédois et le nippon, n’ont pas viré en tête, loin s’en faut, et les arbitres économistes donnent l’avantage aux points du côté des Etats-Unis.

Dans le billet du Figaro, Edmund S. Phelps évoque les piètres performances d’une Europe en panne de croissance, un long ralentissement, que du reste le protocole de Lisbonne n’a pas pu enrayer. Selon ses conclusions, ce n’est pas le modèle social qu’il faut mettre en cause, mais les bases du fonctionnement économique. Rendre le système fluide, flexible, ouvert aux initiatives privées, le laisser aller de son dynamisme naturel sans l’entraver par les corporatismes, étatismes, syndicalismes. Bref, le capitalisme continental donne trop de poids aux partenaires sociaux et institutionnels, ce qui a pour effet de freiner le dynamisme et la performance des structures productives. Le propos de Phelps est séduisant si on le lit en entier, notamment lorsqu’il loue la capacité d’initiative du salarié dans le système anglo-saxon et de ce fait, la dignité et un certain plaisir qu’il tire de son activité, alors que le social semble écraser le travailleur si on suit les dires du Nobel 2006 d’économie. Ces gens-là ont une propension à se raconter des histoires lorsqu’ils abordent la question du bien-être, de l’émancipation, etc. Mais force est de constater que les récents déboires d’Airbus appuient sa thèse économique en fournissant un exemple édifiant et symbolique de cette course à la performance entre l’Europe et les States.

L’attribution du Nobel d’économie à Phelps prend une signification toute particulière dans le contexte politique actuel, alors que les deux présidentiables en vue lorgnent vers les Anglo-Saxons. Eclairage, oui, avec ce billet de Phelps, rappelant la chute de l’Empire soviétique en 1991, chute idéologique, politique, mais essentiellement économique. Si on extrapole plus loin que Phelps, alors on pourrait supposer que l’Europe est au pied du mur et doit abandonner son modèle économique pour ne pas chuter d’ici une ou deux décennies. L’affaire du TCE devient plus claire. La partie III du traité allait dans le sens d’une fluidification économique, et le reste servant d’emplâtre social, bref, un mélange mal agencé, confus, comme d’ailleurs la situation actuelle, avec des discours présidentiels mélangeant le politique, le social, l’économique, sans qu’on puisse voir clairement ce qui nous est proposé. Quoique... Une chose est évidente, les citoyens sont les instruments des élites, pris comme moyens dans des enjeux qui n’ont pas de lien direct avec leur destination, qu’ils ignorent le plus souvent.

Mais pour les déclassés, la situation est claire, s’aggravant d’année en année. Dans "L’horreur économique", Viviane Forester fait allusion à Phelps en mentionnant une de ses formules, très éclairantes : «Aux Etats-Unis, l’emploi est favorisé au détriment des salaires alors qu’en Europe, les salaires le sont au détriment de l’emploi.» Mais au bout du compte, dans un système ou dans l’autre, le profit s’accroît, rien ne joue au détriment du profit, et cette remarque du livre de Forester prend une acuité de plus en plus intense au vu de l’évolution économique des nations avancées. La remarque restera lettre morte, si elle n’est pas suivie d’une analyse économique rationnelle.

Les choses sont évidentes d’un point de vue comptable et rationnel. Le ressort de cette affaire, c’est que les moyens de paiement sont concentrés, et que pour rémunérer les marges des sociétés, il n’y a pas assez d’argent disponible. Dans le cas du système américain, le travail prime, la concurrence est sévère, les plus performants et formés sont soignés par les entreprises, alors que les moins formés n’ont d’autre solution pour survivre que de travailler pour un salaire de misère. Dans le système continental, la protection des salaires (politique socialiste en France, sociale-syndicale en Allemagne) garantit le maintient des classes moyennes, mais assèche de ce fait, comme aux States, l’argent disponible pour les marges qui se contentent d’aides publiques alors que l’encadrement légal du travail interdit les emplois de type américain, à basse rémunération. Mais le dispositif est vite contourné, et les emplois à temps partiel, précaires, CES, alignent la France sur le dispositif américain, avec une efficacité moindre mais une hypocrisie supérieure.

Conclusion : le modèle américain est plus efficace que son homologue continental, mais les deux génèrent de la pauvreté. L’Europe est invitée à abandonner son modèle. La France et l’Allemagne l’ont fait partiellement, en copiant les tendances américaines. Vu la puissance du système, l’intégrale des désirs, il n’y a aucune raison pour échapper à cette tendance. La seule option serait d’agir au niveau monétaire, puisque le problème de la pauvreté est d’ordre monétaire, assèchement de la monnaie disponible pour les marges. Il existe un système à inventer, mais monnaie se conjugue avec éthique, et donc la «monéthique» pourrait devenir un instrument d’une puissance (créatrice) redoutable, à condition que les nations et les populations se décident à renouer avec les valeurs, et refusent cette attitude sans vergogne des élites, des oligarques, des profiteurs, et ceci de toute obédience, profession ou position dans l’échiquier des décisions (la puissance est dans l’esprit, l’outil suit). La société est pervertie par la boulimie de pouvoir et de profit des élites, la corruption, et minée par l’ignorance des peuples, la démission des citoyens. Je ne crois pas à la bombe des salaires. Précarité impuissante, classe moyenne docile, bourgeoisie active, nulle révolte, mais composition avec la tyrannie du profit pour négocier ses avantages. Vote conforme aux nécessité de l’intendance du plaisir, comme dans les élections bordelaises.

Retour aux réalités : le Nobel 2006 d’économie incarne la tendance actuelle. L’heure est à la performance. Sont salués des travaux reliant performance économique et dispositif étatique. L’économiste étant un technicien supérieur mandaté pour servir les puissances étatiques qui, fortes de leur croissance, peuvent opérer de manière impérialiste en menant des guerres ou en prenant des options tactiques et stratégiques, comme la Chine au Pakistan. Tant qu’un citoyen américain réclamera plus d’avantages qu’un Français, un Chinois, un Russe ou un Polonais, et inversement, rien ne fera cesser ce système. Avec son cortège de laissés-pour-compte. Le Nobel 2006 d’économie est une signature symbolique du monde qui avance.

(Source : AgoraVox)

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