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ANPE : services à distance, ou mise à distance ?

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Service public de l'emploi : quand le chemin de l’exclusion est pavé de bonnes intentions… technologiques.

Une bonne partie d’entre nous a, ces derniers mois, cette dernière semaine peut-être, commandé un bouquin sur internet, consulté son compte bancaire via un serveur vocal, voire discuté avec un collègue, un client, via un logiciel de téléconférence. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication traversent toute la sphère sociale, des relations privées aux échanges commerciaux. Ces services «plus», cerise sur le gâteau des relations interpersonnelles, facilitent le quotidien, accélèrent des processus autrefois pénibles, et s’imposent à présent partout, y compris dans les services publics. On peut à présent déclarer ses impôts en ligne, commander un extrait de naissance via Internet, calculer sa retraite...

L’ANPE, service (encore) public, ne fait pas exception à la règle. Depuis plusieurs années, elle a développé toute une batterie de services «à distance», regroupés sous le curieux acronyme de S@D : dépôt de CV (et d’offres d’emploi) en ligne, abonnement aux offres par messagerie, banque de profils, plateformes téléphoniques, télécandidatures sur les emplois proposés, accès à anpe.fr via plusieurs bornes dans les agences ANPE… Que du neuf, du beau, du cyber ! Le tout plutôt bien fait, pratique et efficace.

Tant que ces services à distance étaient facultatifs, le cyber-chômeur l’utilisait avec grand profit, à la satisfaction de tous, tandis que le chômeur «papier-crayon» continuait à venir voir les offres d’emploi affichées dans les agences ANPE, laissait un message à son conseiller au standard, envoyait son CV par courrier et rencontrait son conseiller en rendez-vous dans les agences ANPE, voire en permanence délocalisée dans les mairies pour les zones rurales éloignées des agences. Le problème, c’est que d’un service supplémentaire ouvert à ceux qui disposaient des moyens numériques, on passe progressivement mais inexorablement à un service unique, dont sont par définition exclus les chômeurs non équipés ou dont le niveau scolaire, l’expérience, la facilité d’apprentissage ne sont pas dans la norme exigée.

Lorsque le service est facilitateur, et facultatif, c’est un service à distance. S’il devient complexe et obligatoire, il devient un service de mise à distance.

A présent, dans la plupart des ANPE, plus d’affichage dit «papier». Quatre, six, voire dix «bornes» sont à disposition des demandeurs d’emploi. Ces ordinateurs, devant lesquels on se tient debout, sont branchés en permanence sur le site anpe.fr et permettent de consulter et d’imprimer toutes les offres d’emploi de France et de Navarre. L’intention de départ est louable : les offres d’emploi sont transparentes, lisibles, actualisées, et le site permet une recherche géographique étendue. Mais...

Même si dans toutes les ANPE ainsi équipées, il doit y avoir un «animateur de zone» censé aider les chômeurs dans leurs recherches, on voit chaque jour des chômeurs qui n’osent plus demander de l’aide, qui «n’y arrivent pas avec ces machines-là», qui ont «oublié leurs lunettes», ou qui ne maîtrisent pas suffisamment la langue pour se servir du tri multicritères en page d’accueil. Ces chômeurs-là, un jour on ne les revoit plus du tout, parce que l’humiliation est trop grande d’avoir encore et encore à demander «Mademoiselle, pouvez-vous regarder sur la machine s’il y a du travail pour moi ?»

Ainsi en va-t-il de nombre de services aux demandeurs d’emploi, frappés par la modernisation triomphante de l’ANPE. Tout chômeur doit avoir créé son «espace emploi» sur anpe.fr, il doit avoir mis son profil en ligne, et s’être abonné aux offres d’emploi. Les offres d’emploi doivent favoriser la «télécandidature» (c'est-à-dire candidature en ligne, a l’exclusion de tout autre moyen de contact, l’adresse de l’employeur n’apparaissant pas sur l’offre d’emploi), et le conseiller va rechercher des candidats potentiels sur sa banque de profils. La progression de ces items est surveillée en interne par une foultitude d’indicateurs, et peu importe que le chômeur n’ait pas internet, ou pas d’ordinateur du tout !

Car L’ANPE a tout prévu : si le chômeur n’a pas d’ordinateur, il n’a qu’à téléphoner à l’ANPE ! Il passe alors par un numéro spécial (0811… …) non pris en compte dans les forfaits de téléphonie mobile, et non accessible depuis une cabine téléphonique. Une voix suave lui susurre alors «Pour signaler une absence à convocation, taper 1, pour connaître nos horaires d’ouverture, taper 2, pour tout autre service, taper 3, pour laisser un message à votre conseiller, taper 4.»
Car le chômeur a maintenant un conseiller personnel. Convoqué tous les mois pour faire le point sur sa recherche d’emploi, il doit venir à la convocation ou justifier de son absence. Mais il ne peut pas joindre son conseiller personnel et doit donc lui laisser un message sur sa boîte vocale. Pour cela, il devra composer un autre numéro, entrer un code à 8 chiffres délivré par son conseiller, laisser son message avec ses coordonnées complètes, sans oublier d’appuyer sur «dièse» faute de quoi le message ne sera pas enregistré. Quant au conseiller, surchargé de mails, de courriers et de message vocaux, il traitera la demande quand il le pourra !

La dernière innovation, censée faciliter la vie des chômeurs, se nomme «visioguichet». Autrefois, dans les zones rurales, l’ANPE assurait des permanences mensuelles, souvent dans les mairies, pour recevoir les chômeurs éloignés géographiquement de leur agence de parfois 70 à 80 km. Budgétivores en temps et en frais de déplacement, peu rentables, souvent dépourvues d’installation informatique, ces permanences ont été peu à peu abandonnées. Il ne fut pourtant pas question de les rétablir avec la mise en place du suivi mensuel des chômeurs… A la place, on installe des visioguichets, ou l’entretien de face à face passe par l’intermédiaire d’une webcam. Pour peu que la bande passante soit un peu faible, ou que le débit soit fluctuant, on assiste à des entretiens quasiment lunaires, avec décalage de la voix et de l’image, qui rendent la communication difficile, voire douloureuse.

Car, globalement, le problème du tout numérique est bien celui de la communication. L’entretien avec un demandeur d’emploi n’est pas une aimable conversation avec un cousin de l’autre bout du monde ! Toutes les émotions y passent, méfiance, crainte du contrôle, abandon, larmes parfois, découragement… Les silences et les hésitations parlent parfois plus que les mots, même si une webcam améliorée techniquement arrivait à rendre certaines nuances d’un entretien physique sans les déformer comme aujourd'hui… Ainsi, face à une cyber-ANPE rutilante, moderne et hygiénique, c’est un cyber-chômeur étincelant qu’on voudrait voir (virtuellement) se présenter. Il a accès à Internet, de préférence en zone dégroupée, il en maîtrise les arcanes, il est autonome et cultivé et règle avec son cyber-conseiller les menus détails électroniques de sa reprise d’emploi.

Téléphoner à une plateforme coûte cher, avoir un ordinateur et un abonnement internet aussi. A force de glorifier les moyens «modernes» de communication, on stigmatise ceux qui n’en disposent pas, ou qui ne parviennent pas à s’y adapter. On ne fait pas pousser les fleurs en tirant dessus, et on ne «modernise» pas les humains en leur imposant le progrès technique. Ce sont les personnes les plus en difficulté que l’on éloigne encore du service public, en les culpabilisant de ne savoir saisir au bond cette chance incroyable qu’elles pourraient avoir de profiter de services ultra-modernes.

A vouloir à toute force réduire la fracture numérique, c’est la fracture sociale qu’on agrandit, dans le plus grand silence, car ceux qui cessent de communiquer cessent tout simplement d’être visibles.

Patricia A.

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Mis à jour ( Samedi, 12 Mai 2007 16:54 )  

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