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Qui pigeonne qui ? (Ou l'émergence d'un néo-poujadisme)

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Une fronde de pigeons ? Un gouvernement qui pond un budget anti-entreprises ? Des créations de start-ups tuées dans l’œuf ? Ne cherchez pas la coquille, c’est l’emballement économique de la semaine, décrypté par Anne-Sophie Jacques d'Arrêt sur Images.

Un petit remake des Oiseaux d’Hitchcock, ça vous dit ? Avec des ralentis sur des hordes de pigeons menaçants qui nous regardent de leur œil torve… Oui, je sais, "pigeons" ce n’est pas très glamour, mais c’est le nom choisi par des entrepreneurs pour manifester leur colère. Enfin, comme ce sont des entrepreneurs jeunes et créatifs, ils ont préféré le terme de geonpis (race de pigeons verlans) nettement plus classe (pardon, cecla).

Quel est l’objet de leur courroux ? S’indignent-ils de la vague de stérilisation des pigeons menée en loucedé à Paris ? Non. Ils s’indignent d’une autre forme d’émasculation : avec le budget 2013, le gouvernement s’en prend ouvertement à l’esprit d’entreprise. Il veut tuer dans l’œuf (de pigeon) toute envie d’investir, de créer, de se faire de l’argent. On savait que François Hollande n’aimait pas les riches. On sait désormais qu’il n’aime pas les patrons. Et ça, les patrons, ça les rend malheureux. Créateur un jour, créateur toujours, ils décrètent la révolte des pigeons et s’organisent sur la Toile avec page Facebook et offensive visuelle à l’appui.

Comme au cinéma, faisons un petit flashback. Vendredi, le gouvernement présente son projet de budget 2013 qui prévoit 20 milliards de prélèvements nouveaux. Parmi les mesures, l’une concerne la fiscalité du statut d’auto-entrepreneur, l’autre la taxation de la plus-value sur la cession d’entreprise.

Passons rapidement sur la première : le gouvernement relève les taux forfaitaires payés par les auto-entrepreneurs pour les rapprocher des taux payés par les travailleurs indépendants qui se plaignent régulièrement de cette concurrence déloyale. Résultat : on s’attend à une hausse de 3% des cotisations du côté des auto-entrepreneurs. Et ? C’est tout. Le principe qui consiste à ne rien faire payer en cas de chiffre d’affaires nul est préservé.

Mais il n’en faut pas plus pour que les auto-entrepreneurs s’auto-indignent et que la Fédération des auto-entrepreneurs (FEDAE) crie à la mort de leur statut. Une première armée de pigeons s’organise. On compte dans leurs rangs de nombreux volatiles dont une jeune auto-entrepreneuse qui voit ses rêves brisés par un gouvernement sans cœur, l’inénarrable Jean-Marc Sylvestre qui dénonce l’acharnement du gouvernement sur les travailleurs pauvres, ou encore la journaliste Sophie Péters qui se lâche littéralement dans La Tribune avec ce papier : “Auto-entrepreneur : il est interdit d'entreprendre”…

Mais la colère de ces pigeons n’émeut pas grand monde. Pire, on la trouve démesurée (ici ou ). Même Stéphane Soumier, animateur de la tranche matinale de BFM Business, reconnaîtra lundi sur son compte Twitter qu’une hausse de 3%, ce n’est pas non plus la mort.

En revanche, le même Soumier est atterré devant la hausse de la taxation des plus-values sur la cession d’entreprise. A vrai dire, la hausse est spectaculaire. C’est la plus forte hausse du projet de budget 2013 de l’aveu même du gouvernement. Explication : jusqu’à présent, quand vous revendiez vos parts d’une entreprise, la plus-value (la différence entre l’argent investi au départ et l’argent récupéré à la vente) était taxée à 34,5% (19% plus la CSG et la CRDS). Avec le nouveau projet, la plus-value sera taxée selon le barème des impôts. Soit, selon les calculs des entrepreneurs, un taux qui dépasse les 60% (45% sur la tranche maximale plus la CSG et la CRDS).

Le redoutable pouvoir de la roucoulade

Et alors, les gars ? Hollande l’a toujours dit : une fois au pouvoir, il taxera les revenus du capital comme ceux du travail. Peut-on dès lors feindre la surprise, comme cette deuxième escadrille de pigeons ? Oui. Au micro de Soumier lundi matin, Jean-David Chamboredon, patron du fonds des entrepreneurs internet ISAI et auteur d’un plaidoyer pour la survie des start-up dans La Tribune, s’étranglait : "La communauté des entrepreneurs du web et des entrepreneurs de croissance en général a pensé tout cet été qu’il y aurait une distinction évidente (car elle est évidente) entre ceux qui gagnent de l’argent en dormant (l’épargne de précaution, le patrimoine placé qui assure un rendement) et les investissements en fonds propres dans les sociétés de croissance." C’est dire s’il est déçu. Il se dit "écœuré", avec la "nausée", ses rêves d’entrepreneurs viennent de se prendre "un grand coup de batte de baseball dans les tibias".

Le gouvernement en veut à l’esprit d’entreprise. Car qui sera assez fou pour investir dans une jeune pousse, si plus de la moitié des gains en cas de revente est confisquée par le fisc ? Même son de cloche parmi les autres pigeons : Olivier Bernasson, créateur du site pecheur.com, a exprimé son désarroi dans une lettre ouverte à son député ; Patrick Robin, fondateur de 24h00 et pionnier du web, détourne sur le Huffington Post l’anaphore de Hollande en "Moi, entrepreneur" pour clamer qu’il se sent "persécuté, dénigré, mais aussi énervé, révolté et pour la première fois en 30 ans, découragé, démotivé... à quoi bon réussir, c'est tellement mal vu ces derniers temps". (Depuis, il a appelé à plus de mesure dans les propos des pigeonnés.) Citons encore Benoît Raphaël, créateur de médias sociaux — et avant cela à l'origine du Post, un ex-site "grand public" du groupe Le Monde : lui envisage tout de go d’aller voir "si l’herbe est plus verte ailleurs" (genre en Belgique où il pleut beaucoup et où, accessoirement, les plus-values sur les cessions d’entreprise ne sont pas taxées).

Persécution, démotivation… la loi de finances est-elle à tel point anti-entreprise ? Pour le JT de France 2 mardi soir, aucun doute : cette mesure, nous dit François Lenglet, diminue "l’incitation à entreprendre et c’est alors toute la collectivité qui peut en payer le prix sous la forme d’une croissance plus faible". Dans le reportage précédant l’intervention de Lenglet, Gilles Babinet, créateur — et revendeur — de nombreuses start-ups, explique qu’il ne perçoit pas de salaire et vit des plus-values réalisées. Avec ce taux confiscatoire de 60%, il craint que "les gens ne cessent d’avoir la volonté d’entreprendre". Drôle d’argument : je n’ai pas encore entendu ceux dont les salaires seront taxés à 75% (revenu annuel de plus d’un million) dire "je crains que je ne cesse d’avoir la volonté de travailler".

Lit-on la presse, à France 2 ? Dès mardi, certains medias commençaient à être sceptiques sur la portée anticapitaliste de la mesure. Samuel Laurent, journaliste du monde.fr, a tenté de faire la part du fantasme en pointant notamment les approximations des arguments pigeonnants. Dans Libération, on estime que les pigeons ne sont pas si plumés.

Vous me direz, t’es gentille mais tu cites des journaux anticapitalistes de base. Ah ah, vous me faites bien rigoler. Même Le Figaro constate : "Si le gouvernement va incontestablement durcir la fiscalité sur les cessions d'entreprise, ces montants doivent être nuancés". Pourquoi ? D’abord, il faut préciser une petite chose. Les plus-values seront dorénavant soumises au barème de l’impôt. Nos entrepreneurs, dans leur calcul, ont d’emblée choisi la tranche à 45%. C’est-à-dire la tranche pour des plus-values supérieures à 150.000 euros. Toutes les autres bénéficieront des barèmes moins élevés. Selon le gouvernement cité par Libération, "73.400 contribuables verraient leur imposition majorée du fait du passage au barème, tandis que 57.200 contribuables – les plus modestes – bénéficieraient d’un allégement de leur imposition". En somme, ceux dont la plus-value entre dans les tranches inférieures à 34,5%, le taux antérieur. De même, le gouvernement a mis en place tout un attirail pour atténuer le taux, en fonction notamment du critère temps. Plus vous revendez tard, plus le taux diminue. Si vous vendez parce que vous partez à la retraite, la plus-value est exonérée. Idem si vous réinvestissez au moins 80% de vos gains dans une autre société. Enfin, si votre entreprise a le statut de jeune entreprise innovante, vous êtes là encore exempté de taxe.

L'émergence d'un néo-poujadisme

Voilà une mesure somme toute très française, à l’image de notre langue : une règle et des tas d’exception. J’avais le plaisir d’en discuter récemment avec un avocat fiscaliste, Eric Desmorieux. Au milieu de notre conversation, il m’a raconté la parabole du parapluie, fable de Maurice Cozian, professeur de droit fiscal et auteur du “Précis de fiscalité des entreprises”. Un jour, un parlementaire a une brillante idée. Il propose de supprimer tous les impôts et les taxes et de les remplacer par une seule contribution : une taxe sur les parapluies. Idée saugrenue, certes, mais idée géniale votée immédiatement. Puis un parlementaire lève la main et évoque le cas des ouvrières qui se rendent sur leur lieu de travail avec un parapluie de coton. Compte-tenu du caractère professionnel de la possession de parapluie, il faut les exonérer. Bien sûr, admet l’Assemblée. Puis c'est au tour des sans-le-sou. Puis de ceux qui possèdent un pépin, ce qui n'est pas vraiment un parapluie. Et ainsi de suite jusqu’à ce que la loi sur les parapluies comporte 1.245 articles. J’adore cette fable (en plus elle finit mal, lisez-la).

Mesure très française et réactions très franchouillardes ? Certains n’ont pas manqué de moquer la révolte des pigeons et notamment sur le réseau social Twitter, lieu de naissance du mouvement pigeon, où les anti-pigeons ont à leur tour inventé le hashtag #geonpistyle. Les meilleures blagues anti-pigeons sont recensées sur le blog de Véronis : "Je crois que l’Etat veut tuer les riches avec les tripes du dernier entrepreneur" (Florent Latrive, journaliste à Libé) ou encore, ma tirade préférée, "Je suis ni de droite ni de gauche mais surtout pas de gauche". Laissant de côté la moquerie, d’autres comparent carrément cette fronde avec le mouvement poujadiste né dans les années 50.

Pour les plus jeunes d’entre nous ou les billes en Histoire, Poujade était un papetier de Saint-Céré (Lot). Le gouvernement de Mendès-France avait décidé d’augmenter la pression fiscale, notamment en exigeant que les artisans et les commerçants voient leurs comptes contrôlés par l’administration. A l’époque, beaucoup d’entre eux ne tenaient pas de comptabilité. L’intrusion d’inspecteurs fut très mal vécue, d’où une fronde antifiscale qui connut un certains succès (vous pouvez réécouter l’émission de France Inter 2000 ans d’Histoire consacrée au phénomène). Fort à propos, l’IFOP ressortait hier un sondage réalisé en 1955 sur la portée du mouvement poujadiste. Les résultats sont nuancés — 35% se disent sympathisants — mais on peut rire de certains commentaires : «C’est une association de gens qui regrettent le marché noir» ; «C’est un mouvement pour éviter ou retarder le versement de l’impôt chez des personnes qui gagnent largement leur vie quoi qu’on dise» ; «Réunion de commerçants qui sont trop fainéants pour faire leur comptabilité et qui veulent gagner trop d’argent». Déjà, on se moquait des réfractaires à l’impôt.

Enfin, tous les créateurs ne sont pas opposés à cette mesure sur les plus-values, et ils l’ont fait savoir dans Libération : "Nous – créateurs et patrons de PME - ne nous considérons pas comme une caste de citoyens supérieurs, dont les revenus devraient bénéficier d’un traitement fiscal de faveur. Nous soutenons tout ce qui va dans le sens de l'équité et de la simplification de l’impôt. Nous soutenons donc le principe de taxation égale des revenus du travail et du capital, gage de relations sociales durables au sein de nos entreprises et d’effort partagé". Parmi les signataires, Jacques Rosselin, cofondateur de Courrier international et ancien de La Tribune, mais aussi Benoît Thieulin, directeur de La Netscouade et l’un des fondateurs de la ségosphère. Toujours dans Libé (article cité plus haut), on avait déjà entendu l’inquiétude d’un autre signataire, Stéphane Distinguin, patron de Faber Novel, gêné par le mouvement des pigeons qu’il estime "alimenté par la rumeur", se basant "moins sur des faits que sur des fantasmes". Il craint "que nous le payions cher à l'étranger, où la réputation de la France en matière d’entreprises est déjà écornée. Ce mouvement va laisser des traces, c’est comme l'émergence d’une sorte de Tea Party des entrepreneurs du numérique" (en référence au mouvement populiste de droite américaine). La fronde a d'ailleurs fait l'objet d'un papier (amusé quoique mesuré) hier dans le Financial Times.

Pigeons, ou hirondelles ?

Au-delà des moqueries et des contre-mouvements, on peut prendre au sérieux le message sous-jacent des pigeons : si vous nous taxez fortement, on partira à l’étranger. Entre nous, si c’est pour partir dans les pays chauds dès qu’il commence à faire froid ici, ils auraient dû se nommer hirondelles plutôt que pigeons. Cette envie d’évasion, c’est le message de Benoît Raphaël déjà cité (il l’a redit ce matin ici) et une menace lancée par tous ceux qui se sentent démotivés. Dans la lettre à son député, Bernasson a d’ailleurs cette formule étrange : "Depuis des mois je suis démarché comme des centaines de milliers d’autres entrepreneurs par «des amis européens» qui m’incitent à m’installer chez eux". Je lui ai demandé qui étaient ces amis, ces démarcheurs, mais il n’a pas souhaité me répondre.

Les pigeons vont-ils migrer en masse ? Aux dernières nouvelles, le gouvernement n’a pas (encore ?) décidé de s’attaquer à cette industrie souterraine et lucrative appelée optimisation fiscale, quand ce n’est pas de l’évasion. Rappelons qu’une commission d’enquête sénatoriale a pondu un rapport ambitieux au mois de juillet, 809 pages qui attendent patiemment que le gouvernement finisse par voler dans les plumes de la migration fiscale.

On peut également regretter que cette mesure choc, qui devrait rapporter un milliard d'euro, permet de masquer l'absence d'une vraie taxation du capital (souvenez-vous, la taxe des 75% ne concerne que les revenus). En attendant, comme le fait remarquer la députée UMP Laure de la Raudière sur son blog, "les plus-values en capital [seront] ainsi plus taxées que les dividendes, puisque ceux-ci bénéficient de l'abattement. Les bénéfices non distribués, partie de ces plus-values, seront donc plus taxés que ceux qui sont distribués, c'est-à-dire l'inverse de ce qui avait été prôné par le PS".

Enfin, si vous n’êtes pas émus par le cas de ces drôles de pigeons, vous le serez peut-être par celui des autres bestioles à plumes ou non. Selon l’ONG France Nature Environnement citée par l’AFP, le budget 2013 "ne permettra pas d'amorcer la transition écologique" promise par François Hollande. "Le rabotage des moyens alloués au ministère de l'Ecologie n'augure rien de bon quant à la création de l'Agence nationale de la biodiversité, pourtant annoncée par François Hollande lors de la conférence environnementale".

A quand une fronde des vrais pigeons ?

(Source : Arrêt sur Images)


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Mis à jour ( Mardi, 15 Janvier 2013 19:48 )  

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