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Quand le profit tue l'investissement (et l'emploi)

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En affectant une part croissante de leurs profits à la rémunération du capital, les entreprises sont amenées soit à freiner leurs investissements, soit à s’endetter.

En 2005, les 40 sociétés cotées qui composent le CAC 40 ont distribué 30 milliards d’euros à leurs actionnaires (situés pour 40% à l’étranger). En 2006, ce sera sans doute davantage, car les sociétés en question sont en train d’annoncer des résultats qui, pour la plupart, sont en nette augmentation, de l’ordre de 20% en moyenne. La Bourse repart : c’est Noël toute l’année pour les actionnaires.

Pourquoi s’en affliger ? Après tout, nous sommes en économie de marché et des entreprises prospères valent mieux que des entreprises croulant sous les dettes et les déficits. «Des entreprises qui gagnent de l’argent» est une meilleure nouvelle pour l’emploi que des entreprises qui en perdent car, même s’il y a toujours des dirigeants prêts à fermer une unité jugée insuffisamment rentable afin d’améliorer encore les performances, les licenciements sont moindres et les embauches plus importantes quand les affaires marchent bien.

Le «modèle» américain montre d’ailleurs que rentabilité élevée et plein-emploi peuvent aller de pair, contrairement aux craintes des économistes de la régulation. Pour ces derniers, en effet, une société dans laquelle l’équilibre serait rompu entre travail et capital, par exemple au détriment du premier et au bénéfice du second, est une société qui se prépare des lendemains qui déchantent, faute de débouchés suffisants ou de conditions de travail acceptables. Or, aux Etats-Unis, le capitalisme actionnarial ne s’est jamais aussi bien porté : bien que l’essentiel des gains issus de la croissance soit accaparé par le capital et les salariés du haut de l’échelle, cela ne freine pas la dynamique du système ; il connaît depuis quatre ans un rythme de croissance quasiment deux fois plus rapide que celui de l’Europe, donc un taux de chômage presque moitié moindre. Plus près de nous, l’Irlande offre un exemple proche : un climat favorable aux affaires attire les capitaux étrangers, lesquels créent des emplois et alimentent la croissance économique, faisant de ce pays un tigre européen, avec chômage faible (4%) et croissance forte (5%).

Bref, quand Stéphane Paoli annonce joyeusement à Jean-Marc Sylvestre, le matin sur France-Inter, «une bonne nouvelle, Jean-Marc, la Bourse à Tokyo a encore gagné 1%», et que Jean-Marc acquiesce, pourquoi s’en inquiéter ? C’est bon pour l’emploi, les affaires et le moral. On ne va quand même pas gâcher le plaisir des actionnaires, ces hirondelles qui annoncent le printemps.

Et si en fait, elles annonçaient la grippe aviaire, ces aimables hirondelles ? Et si les 35 ou 40 milliards d’euros qui vont être versés aux actionnaires des sociétés du CAC 40 – notamment aux 130.000 actionnaires retraités ou salariés d’EDF qui vont pouvoir ainsi s’offrir une grosse gâterie supplémentaire, de l’ordre de 1.000 euros chacun en moyenne – étaient en réalité une mauvaise nouvelle ?
Car l’argent versé aux actionnaires est prélevé sur la trésorerie des entreprises ; il ampute d’autant leur cash-flow, le montant de ce qu’elles peuvent investir sans s’endetter. Dans l’Union européenne, les revenus des sociétés non financières distribués à leurs actionnaires ou dirigeants ont été multipliés en moyenne par plus de deux entre 1991 et 2004 inclus, alors même que le coût de la vie n’augmentait que d’un tiers : en France, ils sont passés de 41 milliards d’euros à 146 milliards. En Allemagne, de 119 à 267. Au Royaume-Uni, de 70 à 142 (chiffre de 2003). En Belgique, de 9 à 27. Dans le même temps, les investissements des mêmes sociétés ont stagné en volume, ou peu s’en faut, une fois retirée la hausse de leurs prix : en Italie, en Allemagne, au Royaume-Uni, les actionnaires reçoivent désormais davantage de profits que les sociétés n’investissent (en brut, c’est-à-dire renouvellement de leurs équipements inclus). En France ou en Belgique, on en est proche : respectivement 93% et 85% en 2004, contre 37% et 42% en 1991. Certes, il y a des exceptions, et il s’agit de pays plutôt dynamiques : Suède (10%), Danemark (30%), Espagne (25%), Pays-Bas (58%).

En d’autres termes, en affectant une part croissante de leurs profits à la rémunération du capital, les entreprises sont amenées soit à freiner leurs investissements, donc leur croissance et leur emploi, soit à s’endetter. Les firmes européennes ont choisi majoritairement la première voie : pour chouchouter leurs actionnaires, ou leur faire reprendre le chemin de la Bourse, elles ont taillé dans le vif et réduit la voilure. Les firmes américaines ont choisi la seconde voie : elles se sont endettées, profitant des taux d’intérêt bas, ce qui a stimulé leur économie. Mais aujourd’hui que les taux d’intérêt remontent, elles risquent à leur tour de devoir choisir : les cours en Bourse ou la croissance, les bénéfices pour les actionnaires ou pour l’investissement. La financiarisation de nos sociétés réduit leurs marges de manœuvre, parce qu’on n’attire pas les mouches avec du vinaigre. Avec pour conséquence que c’est sur l’emploi que se soldent les comptes.

Denis CLERC pour Alternatives Economiques.

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Mis à jour ( Vendredi, 03 Mars 2006 21:04 )  

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