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Une politique de l'emploi inquiétante

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A l'évidence, il existe de bonnes raisons de s'inquiéter des coups de canif successifs portés par Dominique de Villepin au droit du travail, d'abord en août 2005 avec la création de son contrat nouvelles embauches (CNE), et puis aujourd'hui avec le contrat première embauche (CPE).

Car dans la compétition qui l'oppose à Nicolas Sarkozy le premier ministre semble avoir fait le choix de prendre le code du travail en otage, et, pour être le favori de son camp en 2007, de multiplier les mesures de déréglementation et de flexibilité de l'emploi. Pour des raisons dont la rationalité est plus politique qu'économique.
Même si cette politique de l'emploi est marquée de fortes arrière-pensées ; même si elle n'a fait l'objet, contrairement à tous les engagements pris, d'aucune concertation avec les partenaires sociaux, il faut pourtant se poser la question : n'est-elle pas, envers et contre tout, en passe de faire la preuve de son efficacité ? Puisque 280.000 CNE ont été créés à ce jour ; puisque le chômage recule continûment depuis avril 2005, n'est-ce pas la preuve, quoi qu'en dise la gauche, que plus de flexibilité génère plus d'emploi ?

Premier constat irréfutable : effectivement, le chômage recule à une cadence soutenue. Depuis huit mois, le nombre des demandeurs d'emploi (catégorie 1) a baissé de 158.000. Le taux de chômage a donc aussi reflué, de 10,2% de la population active en avril 2005 à 9,6% en novembre. Et selon l'INSEE ce taux chuterait à 9,2% en juin.

Ce serait pourtant aller vite en besogne que d'en attribuer le mérite à la seule action du gouvernement. La démographie française arrive en effet à un point de bascule historique, avec le départ à la retraite de la génération du baby-boom et un ralentissement de la croissance de la population active. De + 220.000 à la fin des années 1990, la hausse annuelle de la population active est tombée à + 180.000 en 2002, puis à + 67.000 en 2005 et avoisinerait + 40.000 les années suivantes. L'équation sociale de M. de Villepin est autrement plus simple que celle à laquelle était par exemple confronté Lionel Jospin : uniquement pour parvenir à une stabilisation du chômage, M. de Villepin doit espérer trois à quatre fois moins de créations d'emplois qu'à l'époque de son prédécesseur. En bref, la bonne question n'est pas de savoir si le chômage baisse. Mais s'il baisse assez vite.

La deuxième explication du recul du chômage est la relance des emplois aidés. Massivement réduits par Jean-Pierre Raffarin, ces emplois ont été stimulés, dans des variantes nouvelles, par le dernier plan dit de cohésion sociale et commencent à produire leurs effets : encore en recul de 14,7% au premier semestre 2005, le nombre de ces emplois a progressé de 6,1% au deuxième semestre et devrait s'envoler au premier semestre 2006 (+ 12,6%). Au total, environ 300.000 entrées sont ainsi prévues pour 2006 en contrat d'avenir et contrat d'accompagnement dans l'emploi (CAE), alors que la totalité des emplois aidés de 2005 a atteint 263.000. S'il faut reconnaître au premier ministre le mérite d'avoir rétabli une politique de traitement social du chômage mise à mal par intégrisme libéral, au lendemain de 2002, l'interpellation n'en prend pas moins encore plus de force : compte tenu de ces évolutions démographiques et des nouveaux financements publics, le recul du chômage n'est-il pas trop modeste ?

Pour bien répondre à la question, il faut observer une autre variable : l'évolution de l'emploi marchand. Car c'est cet indicateur qui permet de quantifier les emplois les plus solides, ceux effectivement générés par l'activité économique ; c'est lui qui permet d'apprécier la solidité, si l'on peut dire, de la baisse du chômage. Or le bilan n'est guère brillant. Selon l'INSEE, le secteur marchand n'a créé en 2005 que 62.000 emplois. Ce qui est faible.

Manque de recul

Et sur ces 62.000 emplois créés, quelle est la part dont il faut attribuer le mérite à la politique du gouvernement ? Les économistes sont naturellement incapables de répondre précisément à ce genre de question. Et puis surtout les mesures de déréglementation du marché du travail engagées avec le CNE sont trop récentes pour qu'on puisse en évaluer l'impact. Dans sa dernière note de conjoncture, publiée en décembre 2005, l'INSEE soulignait que l'on manquait de recul pour apprécier les créations nettes d'emplois suscitées par le CNE et que cela "ne sera pas possible avant plusieurs trimestres".

Une première incidence du CNE (et maintenant du CPE) semble, certes, probable : il va conduire — l'expression est de l'Insee — à une "plus grande volatilité de l'emploi". Compte tenu de l'allégement des procédures de licenciement, la réforme pourrait entraîner des créations d'emplois "plus nombreuses lorsque la demande croît et des destructions elles aussi plus nombreuses lors des phases de ralentissement". En quelque sorte, le décalage bien connu — de deux à trois trimestres — entre l'activité économique et le marché du travail serait largement supprimé ; les deux cycles seraient plus directement corrélés l'un à l'autre.

Mais, au passage, le niveau moyen de l'emploi s'en trouverait-il amélioré ? C'est évidemment le point central, celui qui est le plus discuté par les experts. Dans sa note, l'INSEE se garde de dire que le résultat est certain. Non ! Usant d'une formulation plus prudente, l'institut se borne à dire que c'est "possible" mais n'avance aucune évaluation. Traduction en termes moins diplomatiques : la doctrine libérale inspirant la politique du gouvernement doit encore faire la preuve de sa pertinence.
D'autres spécialistes de la politique de l'emploi, comme Eric Heyer (OFCE), suggèrent que ce résultat est très loin d'être assuré, notamment parce que les nouveaux contrats (CPE ou CNE) pourraient générer des effets d'aubaine pour les employeurs mais sans stimuler l'emploi total. Encore fragiles, des premières statistiques (issues de l'ACOSS, la banque de la "Sécu") suggèrent que les CNE commenceraient leur montée en puissance en cannibalisant, pour une part, les contrats à durée indéterminée (CDI).

Bref, la politique de l'emploi prend une tournure de plus en plus préoccupante. Pour l'heure, ses résultats concrets sont décevants. Et si elle sera socialement lourde de conséquences, l'implosion du code du travail aura également des effets économiques, qui sont, pour l'heure, totalement incertains. Plus doctrinaire que pragmatique, le gouvernement n'a d'ailleurs pas même pris soin de procéder à des évaluations préalables. Ce qui n'a pas empêché le premier ministre d'annoncer une nouvelle étape : une prochaine réforme globale du contrat de travail.

par Laurent Mauduit pour Le Monde

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Mis à jour ( Dimanche, 29 Janvier 2006 11:26 )  

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