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Accueil La revue de presse En me rasant, je pense à l’endroit où je vais dormir

En me rasant, je pense à l’endroit où je vais dormir

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Timide échange de regards, en se croisant au lavabo. Un bonjour discret de la tête et ils ressortent emmitouflés, serviette et trousse de toilette rangées dans un sac plastique. Ils se ressemblent peu. Sans-abri, sans-papiers, familles logeant dans un hôtel meublé avec une douche sur le palier, étudiants ou travailleurs précaires louant une chambre de bonne sans sanitaires, retraités avec une pension modeste : ils fréquentent les 18 bains-douches publics de Paris, lieux carrelés et proprets de la petite misère ordinaire et quotidienne.

900.000 douches sont prises chaque année, gratuitement, dans ces établissements qui ne fournissent ni savon ni serviette. Mais «certains viennent les mains dans les poches, confie un agent. Ils viennent juste se mouiller. Au moins ça leur lave les idées.»

Chaque mardi, Martine a son rituel. Elle prépare minutieusement shampoing, gel douche, maquillage et prend le bus pour les bains de la Bidassoa (XXe arrondissement). Dans son hôtel de la Villette, où elle loue une chambre depuis quatre mois, il y a bien une douche à l’étage mais il faut faire la queue, le tuyau est cassé et l’eau trop froide. «Ici, ça sent le propre, c’est calme, pratique : t’as pas envie de ressortir.» Pas de peinture défraîchie ni de moisi sur les murs. Le strict minimum, lavé à grande eau, et une équipe souriante. En sortant des cabines en enfilade, la petite femme ronde de 35 ans se bichonne devant la glace, soigne sa coiffure, met une crème et du fard à paupières. «Etre crasseux, avoir les cheveux qui grattent, ça rend malheureux.» Mère célibataire d’un enfant de 2 ans confié à une famille d’accueil, elle a fait une demande de logement HLM. Elle ne se souvient pas précisément de son dernier travail, «il y a deux ou trois ans, comme femme de ménage». Après, elle s’offrira un café, pour ne «pas rentrer tout de suite».

Nadia, 42 ans, est aussi une habituée de la Bidassoa. Sa mère l’héberge avec ses cinq enfants et son mari, qui vient de trouver un emploi de bagagiste. Elle vient avec deux de ses filles pour ne pas «alourdir les factures : les charges sont si chères». Souvent il faut «secouer» les petites quand il fait froid ou quand il pleut. Nadia amène son désinfectant pour éviter d’«attraper des champignons, même si c’est propre». A trois sous la douche, «c’est petit» et il a fallu expliquer aux enfants «que ce serait trop dur pour Mamie de payer toutes les douches». Aux bains, elle croise des gens du quartier. «Il n’y a pas que des sans-abri», souligne Nadia. Ajustant son voile en vitesse, elle ne traîne pas. «C’est pas comme chez nous, au hammam, avec le thé et les gâteaux !»

Guitare sur l’épaule, «Chapi», 42 ans, sort d’une cabine embuée des bains Audubon (XIIe). «L’eau, c’est pas mitigé, râle-t-il, soit bouillante, soit glacée.» Mais après avoir «zoné» dans plusieurs villes, il se réjouit de trouver des douches gratuites et bien tenues dans la capitale. Il se dit «vagabond» ou «voyageur» et fait de la musique à la gare de Lyon. Pour lui, les bains ne sont pas un lieu où tenir salon : «On s’en tient à bonjour, merci, au revoir.» Et l’eau ne chasse pas toutes les idées noires : «Sous la douche, je pense à ce que je vais manger, et à l’endroit où je vais dormir.» S’il avait une «super baignoire ou une compagne» avec qui partager son bain, «Chapi» prendrait son temps.

Richard arrive tôt aux bains des Deux Ponts (IVe) où il se douche avant d’aller se coucher. A 50 ans, il travaille de 20 heures à 7 heures du matin dans un établissement public et vit seul, depuis son divorce, dans un studio sans cabinet de toilette, en banlieue. Un immeuble ancien, «beau à l’extérieur, mais… faut pas s’y fier !». Chez lui, il se débarbouille au lavabo et vient là deux fois par semaine pour «une vraie toilette». Mais quand il y a du monde, pas question de traîner : les agents «toquent à la porte au bout de vingt minutes» pour libérer la cabine. La veille, il amène ses affaires au travail. Discrètement. Ses collègues ne savent pas, c’est sa «vie privée». L’an prochain, Richard compte faire installer une douche dans son studio. Il a déjà commencé à économiser.

Derrière lui, un homme en veston vert secoue la tête sous le sèche-cheveux. A ses pieds, trois gros sacs pleins à craquer. Jean-Claude, 53 ans, vit dans la rue depuis deux ans. Sa douche quotidienne fait partie des «bonnes habitudes» qu’il tente de garder pour «ne pas couler et redresser la barre». On ne se sent pas bien, confie-t-il, en dormant tout habillé. Mais lorsqu’il est trop fatigué, «ça ramollit, ça [le] casse encore plus». Rasé de frais, il repart faire la manche une heure ou deux, avant de déjeuner au Secours populaire, dans le Quartier latin.

(Source : Libération)

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Mis à jour ( Mardi, 22 Janvier 2008 10:21 )  

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