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La CAF persiste à taxer illégalement les allocataires du RSA

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Ci-dessous, l'article que Mediapart a consacré le 9 février 2018 au dossier que notre association porte depuis des années.

altAlors que le Conseil d’État a confirmé dans un jugement de juin 2017 l’illégalité du procédé, les caisses d’allocations familiales continuent de surtaxer l’épargne des allocataires du revenu de solidarité active, et ne répondent pas à leur devoir d’information des usagers.

Décidément, les caisses d’allocations familiales (CAF) ont bien du mal à appliquer la loi. En janvier 2017, Mediapart, alerté par des usagers soutenus par l’association Apnée-Actuchomage, révélait que contrairement au code de l’action sociale et des familles, les CAF taxaient à tort les livrets A des allocataires des minimas sociaux. Six mois plus tard, le Conseil d’État a confirmé que cette taxation de l’épargne était illégale, à l’occasion d’un jugement délivré par le tribunal administratif de Montpellier.

Le 17 novembre dernier, la CAF s’est donc, contrainte et forcée, enfin conformée à la jurisprudence et a même édité une circulaire, rappelant à ses agents les règles à appliquer lorsqu’un allocataire possède une épargne. La consigne semble avoir du mal à passer puisque des usagers continuent d’être illégalement «trop taxés», assure l’association Apnée-Actuchomage, qui ferraille sur ce sujet depuis des années.

Les allocataires du RSA n’ont par ailleurs jamais reçu une quelconque information, leur permettant éventuellement de se voir verser rétroactivement des sommes pourtant ponctionnées à tort. Ce faisant, la CAF faillit une deuxième fois à son devoir. Elle est en effet dans l’obligation d’informer les allocataires de leurs droits.

Sur le fond, l’affaire est relativement simple : peu de gens le savent, mais le RSA (revenu de solidarité active) est loin d’être inconditionnel. Les caisses d’allocations familiales prennent en compte pour le calcul d’un RSA l’ensemble des revenus disponibles, y compris les économies épargnées et placées. Un certain nombre de bénéficiaires des minimas sociaux, pas tous, conservent en effet des bas de laine, ce qui n’a rien d’illégal mais doit être déclaré. La plupart des CAF appliquaient jusqu’ici à cette épargne une taxe forfaitaire de 3 %, qu’elles déduisaient ensuite de l’allocation versée chaque mois.

Or les textes précisent que, pour ceux qui possèdent des livrets rémunérés (comme le livret A), la taxation ne doit pas être forfaitaire, mais égale au montant des intérêts, soit 0,75 % pour le livret A, par exemple. Cette confusion réglementaire a pu avoir des conséquences dramatiques : «J’ai touché concrètement 322 euros au lieu de 480 pendant trois mois», expliquait ainsi Pierre (prénom d’emprunt) à Mediapart.

Cet usager a attaqué son département devant le tribunal administratif et attend toujours réparation. Depuis la décision du Conseil d’État, le montant du RSA qu’il perçoit est passé «comme par magie» à son montant légal en janvier 2018, sans que Pierre ne reçoive aucune information de sa caisse. «Les montants précédemment spoliés restent eux toujours à récupérer», précise l’allocataire, tenace.

Dans la circulaire éditée par la CAF, et que Mediapart a pu consulter, les choses sont pourtant écrites noir sur blanc : «Le taux forfaitaire de 3% n’est plus applicable à l’ensemble des livrets d’épargne (…). Par conséquent, pour la détermination des droits au RSA, seul le montant réel des intérêts perçus doit être pris en compte.» Plus loin, la CAF précise que ces nouvelles modalités s’appliquent aux nouvelles demandes, aux droits en cours, mais aussi «sur réclamation, à tous les dossiers ayant fait l’objet d’une évaluation à 3% au titre des produits d’épargne. La régularisation doit être effectuée dans la limite de la prescription biennale».

En langage moins codé, les allocataires dont le RSA a été indument ponctionné peuvent réclamer un “recalcul” sur les deux dernières années. Encore faut-il être informé. Or la déclaration de ressources que doivent remplir chaque trimestre les allocataires n’a jusqu’ici pas été modifiée. De fait, avant que la CAF n’admette publiquement son erreur, les procédures judiciaires étaient rarissimes et les départements peuvent continuer à tabler sur une forme d’inertie des allocataires, perdus face à l’administration. «Je sais que peu de gens se lanceront dans une réclamation de crainte de se retrouver dans le collimateur de la CAF… et de subir un contrôle tatillon», confirme Yves Barraud, le président d’Apnée-Actuchomage.

Le manque à gagner – ou les économies, selon le point de vue – peut pourtant s’avérer énorme : lors de l’affaire des «recalculés de l’Unédic», qui a concerné environ 800 000 chômeurs en 2004 et 2005, seule une petite quarantaine de demandeurs d’emploi ont engagé des actions qui, au terme d’une bataille juridique remontée pareillement jusqu’au Conseil d’État, se sont soldées par la réintégration dans leurs droits des 800.000 concernés, soit deux milliards d’euros débloqués par l’État.

L’association s’est fendue le 26 janvier d’une lettre ouverte à Agnès Buzyn, ministre de la santé et des solidarités, ainsi qu’à Vincent Mazauric, directeur général de la CNAF (Caisse nationale des allocations familiales). «Par manque d’information ou renseignements erronés, des allocataires sont encore à ce jour taxés illégalement et n’ont pas connaissance de la possibilité d’obtenir remboursement (partiel) de la taxation abusive subie», relève l’association, qui évalue à plusieurs millions d’euros les économies réalisées par les départements sur le dos des «précarisés», par cette interprétation erronée du droit. L’association n’a toujours pas reçu de réponse. La CNAF, que Mediapart a également sollicitée sur le sujet, semble muette.

Pour Apnée, d’autres placements (comme les assurances vie ou les plans d’épargne logement…) sont également soumis à une taxation forfaitaire de 3%, alors même que le rendement de ces placements serait inférieur à ce taux. Enfin, le sujet ne semble pas se borner aux allocataires du RSA. Les retraités qui touchent un minimum vieillesse (l’Aspa, environ 800 euros) voient également leurs allocations retranchées s’ils ont des économies placées, sur la même base forfaitaire de 3%.

Les CAF et les départements, qui financent les allocations de solidarité, traînent donc la patte, concentrés qu’ils ont été ces dernières années sur la crainte de passer à côté des revenus «cachés» des bénéficiaires des minimas sociaux. La taxation des revenus de l’épargne a été introduite à la faveur du remplacement du revenu minimum d’insertion (RMI) par le RSA en 2008. La même année, une délégation nationale à la lutte contre la fraude ainsi que des comités départementaux de lutte contre la fraude sociale ont été initiés par décret. «À mesure que ces dispositifs, appuyés sur plusieurs rapports parlementaires, se sont étoffés, les organismes prestataires ont été amenés à durcir leurs modalités de contrôle», souligne un rapport du défenseur des droits, publié fin 2017, qui s’interroge sur le prix que payent les usagers face aux politiques de lutte contre la fraude aux prestations sociales.

«Au-delà des pratiques, entretenues par une rhétorique de la fraude alimentée par des discours politiques “décomplexés”, ces atteintes [aux droits des usagers – ndlr] s’expliquent aussi, comme l’a montré ce rapport, par la densité, la complexité et le manque de transparence de la réglementation en vigueur ainsi que des procédures qui en découlent», insiste le Défenseur des droits, qui recommande aux organismes de protection sociale de «mettre en œuvre l’obligation d’information à laquelle ils sont tenus». Le flou entretenu sur la taxation de l’épargne des allocataires est, en l’espèce, un véritable cas d’école.

Mathilde Goanec - Mediapart


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