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Les assistés de la France d'en haut

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Contrairement aux idées reçues, dans notre beau pays, les plus favorisés sont aussi assistés que les autres. Et la leçon d’assistanat donnée par la France d'en haut à la France d’en-bas, déjà moralement inacceptable, est surtout politiquement risquée...

«Comment vous vivez l’idée d’être un assisté, ça vous gêne pas de vivre sur le dos des autres ?» «Ça va, merci. Et vous ?» Ce dialogue entre François Cluzet, riche handicapé assisté d’une kyrielle d’aides et Omar Sy, demandeur d’emploi, tiré du film “Intouchables” d’Olivier Nakache et Eric Toledano, en dit long sur la société française. La France est pour partie un pays d'«assistés». Dans l’immense majorité des cas, il s’agit d’aider les plus démunis à ne pas verser dans la misère. Mais le soutien de la collectivité ne se résume pas aux plus pauvres, loin s’en faut. Le problème, c’est qu’en haut de la hiérarchie sociale, on se permet de faire la leçon à une France qui peine à boucler ses fins de mois.

Comment évaluer le nombre d’«assistés» ? Si l’on adopte une vision restrictive, on peut y inclure les titulaires des prestations sociales, qu’elles soient universelles (comme les allocations familiales) ou ciblées sur les plus modestes (comme les allocations logement). En 2010, les minima sociaux font vivre 6,3 millions de personnes soit 10% de la population, d’après le ministère de la Santé. De plus, 8 millions de salariés à faibles revenus perçoivent la prime pour l’emploi (PPE) ou le RSA "activité", d’après les dernières données en 2011. Quelque 4,5 millions de foyers ont bénéficié des allocations familiales et 2,5 millions des allocations logement versés par les Caisses d’allocations familiales en 2010. Il faut encore y ajouter les aides sociales aux démunis, que ce soit pour l’hébergement, la santé, la garde d’enfants, versées au cas par cas par les CAF, l’assurance maladie et les collectivités locales.

Ces données n’ont rien d’original, et la critique de «l’Etat providence» — qui repose sur ce système développé de protection sociale — remonte à la seconde moitié du XIXe siècle. Mais les pauvres sont loin d’être les seuls à bénéficier du système. Retraites, soins, allocations chômage ou allocations familiales : les catégories aisées bénéficient très largement de l’argent public. Parmi les 5 millions de chômeurs et les 15 millions de retraités, on ne compte pas uniquement des catégories populaires.

Certaines aides sont même ciblées sur les plus riches. C’est le cas par exemple des très nombreuses réductions d’impôt (aussi appelées «niches fiscales»). Elles vont coûter en 2012 la bagatelle de 66 milliards d’euros à la collectivité en pertes de recettes. Ainsi, les femmes de ménage et autres personnels à domicile — comme ceux qui entourent François Cluzet dans le film “Intouchables” — sont largement subventionnés. En 2008, cette niche fiscale a coûté 2,3 milliards d’euros de recettes à l’Etat. Des travaux à domicile en passant par les investissements dans les Dom-Tom ou l’immobilier locatif, ces niches vont pour l’essentiel aux plus aisés. Ainsi, les deux tiers des baisses d’impôt pour l’emploi de personnel à domicile sont allés aux 10% des contribuables les plus favorisés, selon un rapport officiel d’évaluation des niches fiscales paru en juin 2011.

Le mécanisme du quotient familial de l’impôt sur le revenu, même plafonné, procure un avantage qui augmente avec le niveau de vie et le nombre d’enfants : 10 milliards sont ainsi distribués. L’avantage se monte à 2.300 euros annuels à partir de 5.000 euros de revenus mensuels pour les familles avec deux enfants, à 4.600 euros au maximum à partir de 6.000 euros mensuels pour les familles avec trois enfants, et atteint 9.000 euros à partir de 7.500 euros mensuels.

En plus des niches fiscales, une grande partie des services publics financés par la collectivité bénéficie davantage aux riches qu’aux pauvres. Il en est ainsi de l’école : compte tenu des inégalités sociales qui existent dans l’enseignement supérieur, l’Etat dépense bien davantage pour les enfants de cadres supérieurs que pour ceux d’ouvriers. Les premiers ont deux fois plus de chances de suivre des études supérieures, révèle l’Insee, d’autant plus si elles sont longues et élitistes. Une scolarité jusqu’au master (bac+5) coûte presque deux fois plus cher aux finances publiques qu’un BEP-CAP, selon le ministère de l’Éducation. En gros, la formation d’un élève jusqu’au BEP coûte 100.000 euros à la collectivité, un étudiant en licence 140.000 euros, et un élève de grande école près de 200.000 euros... Au sommet, dans les écoles les plus prestigieuses du pays que sont l’ENA, l’Ecole normale supérieure et Polytechnique notamment, les élèves quasiment tous issus des familles les plus aisées du pays, sont… payés pour étudier. Sans compter que les enfants de familles aisées fréquentent plus volontiers les établissements bien dotés en enseignants expérimentés, et donc mieux payés que leurs jeunes collègues envoyés dans un établissement dit «d’éducation prioritaire».

On retrouve le même phénomène dans bien d’autres domaines de l’intervention publique, comme en matière de politique culturelle. Musées, théâtres, opéras ou conservatoires de musique : les loisirs des riches sont massivement subventionnés alors qu’ils sont fréquentés pour une grande partie par une minorité très diplômée.

Au-delà de la seule sphère publique, les plus aisés savent très bien comment profiter de soutiens très variés. Des voitures de fonction à usage personnel aux invitations (concerts, spectacles, représentations sportives, etc.) distribuées gracieusement en toute légalité par des entreprises ou des institutions publiques, en passant par des congés tous frais payés par un tiers... Le premier ministre François Fillon lui-même s’était fait payer une partie de ses congés de l’hiver 2010-2011 par les autorités égyptiennes. Dans l’univers de l’entreprise, une partie des plus favorisés arrivent à faire prendre en charge une partie de leurs dépenses privées, du téléphone à la voiture de fonction en passant par certains déplacements. Jean-Marie Messier, ancien PDG de Vivendi avait, par exemple, bénéficié d’un appartement de fonction dans le plus beau quartier de New-York aux frais de l’entreprise et continué à l’occuper un an après son limogeage en 2002.

Tout en critiquant le niveau de protection sociale dont disposent les plus faibles, les hauts dirigeants négocient pour eux-mêmes des protections financées par l’entreprise qui les mettent à l’abri pour plusieurs générations en cas de départ involontaire. Ainsi par exemple, Anne Lauvergeon, débarquée d’Areva l’an dernier, recevra 1,5 million d’indemnités de départ, soit plus d’un siècle de Smic. Elle touchait déjà un revenu d’un million par an. Au-delà, les revenus qu’ils s’octroient suffisent à se protéger du besoin pour plusieurs générations. Ainsi, à 70 ans, Maurice Levy, président du directoire du groupe de communication Publicis, va recevoir pas moins de 16 millions d’euros de rémunération différée (bonus) pour avoir «rempli ses objectifs» : l’équivalent de 1.300 ans de Smic.

Lutter contre les profiteurs

Ceux qui contestent le principe même d’allocations pour les plus démunis d’un côté ou la gratuité de l’enseignement de l’autre sont peu nombreux. Les fondements de la protection sociale sont très largement partagés dans notre pays. Les personnes montrées du doigt sont celles qui profitent indûment de ce système. Dans un système développé de protection sociale et de services publics, les abus existent inévitablement. De même que la criminalité existe dans tous les pays, tous les systèmes publics entraînent leur lot de «profiteurs».

Ainsi, selon la Cour des comptes, les fraudes aux prestations sociales coûteraient environ 1,5 milliard d’euros qui se décomposent en 0,8 milliard d’allocations chômage indument perçues en 2007 et 0,7 milliard de prestations des CAF en 2009. L’histoire montre pourtant que, comme Omar Sy et François Cluzet, ces profiteurs sont répartis dans tous les milieux de la société, riches ou pauvres. Pour un titulaire du RSA (ancien Rmiste) qui assure ses fins de mois «au noir», combien de familles ne déclarent pas leurs employés de maison pour ne pas payer de cotisations sociales ? Pour une femme seule qui ne signale pas immédiatement un nouveau compagnon pour continuer à toucher des allocations, combien de milliardaires se soustraient à l’impôt par des techniques d’évasion à la limite de la légalité ? Combien d’emplois de complaisance, pour ne pas dire fictifs, sont octroyés dans les entreprises, les cabinets ministériels ou les collectivités locales afin d'employer des amis ou de la famille ? Cas extrême, on se rappelle de la condamnation en 2008 de la fille du milliardaire François Pinault qui avait indument perçu un RMI pendant six ans tout en s’acquittant de l’impôt sur la fortune... A bien plus petite échelle, Delphine Batho, députée et porte-parole du parti socialiste, occupe un appartement de la Régie immobilière de la ville de Paris de 108 m² pour 1.500 euros, soit 30% de moins que le prix du marché.

A l’opposé, on oublie très souvent qu’une partie des bénéficiaires potentiels ne demande rien et rase les murs pour ne pas être stigmatisée. Seulement 32% des ménages pouvant bénéficier du RSA "activité" y ont recours et 65% des potentiels Rmistes (RSA de base), laissant ainsi près de 2 milliards d’euros inemployés au budget de l’Etat, d’après le rapport du comité d’évaluation du RSA. De même, 1,7 million de personnes ne recouraient pas à la CMU complémentaire à laquelle ils ont droit. La complexité des démarches et les discours culpabilisants sur les «assistés» y sont pour beaucoup.

Tous assistés ?

Alors, sommes-nous tous des assistés ? Oui. Et c’est une bonne chose. Pour partie, notre système social soutient davantage ceux qui en ont le plus besoin : c’est l’expression de la solidarité nationale, de la «fraternité» de notre devise nationale, valeur largement partagée. Pour partie, notre système offre des services publics de qualité à tous, par souci d’universalité : il protège ainsi des aléas de la vie.

Si l’on veut maintenir un système où les plus aisés contribuent davantage que les autres, on ne peut restreindre les droits aux plus démunis : il n’aurait plus de légitimité aux yeux de l’ensemble des contributeurs. C’est pour cela, par exemple, que la plus grande partie des allocations familiales est du même montant pour toutes les familles. Leur rôle n’est pas de réduire les inégalités de revenus, mais de soutenir les familles dans leur ensemble. De façon bien plus large, la gratuité de l’école ou le financement des musées et des bibliothèques sont destinés à les rendre plus accessibles et favoriser leur démocratisation. Il faut la préserver.

Tout est question de dosage. Trop de prestations sous conditions de ressources alimentent une critique du système par ceux qui se situent au-delà de ces conditions mais qui ne disposent pas des autres protections dont bénéficient les plus riches. C’est actuellement le cas, par exemple, auprès de catégories qui se situent juste au-dessus du plafond de revenu qui permet de toucher les allocations logement, un peu au-dessus du Smic. Une partie de la classe politique pointe du doigt «l’assistanat» des plus démunis pour tenter de séduire les couches moyennes qui se situent un cran au-dessus… tout en fermant les yeux sur l’ensemble des avantages dont bénéficient les couches aisées.

La critique des différents avantages dont profitent les plus aisés est aujourd’hui de plus en plus fréquemment mise en avant, à droite comme à gauche… sans grand effet. Dans la sphère publique les niches fiscales, coûteuses et inefficaces, sont largement dénoncées mais à peine réduites. Les privilèges dont jouissent les enfants de diplômés à l’école sont connus, mais rien n’est proposé pour transformer réellement le système. Une bourgeoisie culturellement favorisée de droite et de gauche défend son «élitisme républicain» transformé en élitisme social. Au nom de la création, la politique culturelle française, des musées aux conservatoires en passant par l’opéra, se soucie peu de démocratiser le public. Dans la sphère de l’entreprise aussi, les protections et les niveaux de rémunérations démesurés sont aujourd’hui très largement discutés, parfois par les intéressés eux-mêmes... Ainsi, par exemple, Maurice Levy avait revendiqué en août 2011 une plus forte contribution des plus fortunés. Sans que les actionnaires n’interviennent pour remettre en cause les niveaux astronomiques distribués aux dirigeants.

La leçon d’assistanat donné par des couches sociales qui profitent des largesses de l’Etat providence et de l’entreprise bien plus que les autres, qui sont tout autant présents parmi les fraudeurs, est à la fois moralement inacceptable et politiquement risquée. Tout en croyant rassurer la France populaire, celle qui se lève tôt, elle engendre un décalage dévastateur entre les discours et les actes, qui attise un populisme qui ne peut que profiter à l’extrême-droite qui l’utilise au mieux.

(Source : L’Observatoire des inégalités)


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