Le «revenu citoyen», le RSA de luxe de Dominique de Villepin

Mardi, 01 Mars 2011 23:46
Imprimer
M. de Villepin est entré en campagne. Dans sa panoplie pour 2012, l'homme qui initia les calamiteux "suivi mensuel personnalisé", "contrat nouvelle/première embauche" et "bouclier fiscal" à 60%, propose un Revenu Citoyen de 850 €...

Il n'y a que ceux qui ne font rien qui ne se trompent jamais, me direz-vous : on pardonnera donc à l'ancien premier ministre de Jacques Chirac ses nombreux errements entre 2005 et 2007. Mais, au vu de la nature profondément antisociale de ses actions passées (intensification du contrôle des chômeurs, de la précarisation de l'emploi et des cadeaux fiscaux aux plus riches…) et son positionnement actuel (ennemi juré de Nicolas Sarkozy, mais frère tout de même), le candidat — non déclaré, mais c'est tout comme — Galouzeau de Villepin, portant la bannière de sa formation post-gaulliste «République solidaire», ne trompe personne.

Dans une tribune lyrique parue dans Libération, au nom de l’«aspiration à la dignité», le voici qui lance le produit d'appel de son projet politique : le Revenu Citoyen.

D'abord, il invente l'eau chaude : «Pendant des siècles l’humanité n’a eu d’autre but que d’assurer sa survie. La révolution industrielle, en deux siècles, a changé la donne. C’est la simple vérité que nous constatons chaque jour : il y a abondance, mais pas pour tous», constate-t-il. «Nous sommes une nation riche d’un long passé et d’un patrimoine accumulé. N’est-il pas naturel que chaque Français ait un droit sur l’héritage national ? N’est-il pas nécessaire de donner au citoyen la liberté de se consacrer aux choses de la cité, comme les jurés aujourd’hui ou les citoyens athéniens hier ? N’est-il pas utile de profiter du libre épanouissement des dons de chacun ?», s'interroge-t-il, osant évoquer l'émancipation de l'individu dans cette société marchande, et braver le tabou de la répartition des richesses.

Là, vous avez le droit de rire : «C’est vrai, hier ce n’était ni possible ni forcément souhaitable.» Vraiment ? On se demande pourquoi. Heureusement que la crise est passée par là ! Et de poursuivre : «En France, c’est devenu possible et souhaitable — à cause du chômage de masse, de l’éducation démocratisée, de l’émancipation des femmes — et tout au long du XXIe siècle, les pays développés se tourneront vers ces solutions simples, modernes, justes.» Wouaaaaah.

«Je propose la création d’un revenu citoyen. Il s’agirait d’un revenu garanti à tous, de l’ordre de 850 euros. Autant dire le strict nécessaire. Aucun luxe, tous ceux qui en vivent vous le diront. Mais un socle pour construire une vie digne et libre : ce revenu serait dégressif jusqu’à un niveau de revenus médian, autour de 1.500 euros. Enfin, ce revenu créerait l’engagement moral de poursuivre une activité — travail, formation, bénévolat associatif, engagement politique ou syndical, création artistique. Couplé à une réforme profonde de l’impôt sur le revenu, fusionné avec la CSG, rendu plus progressif et prélevé à la source, ce revenu pourra être versé en temps réel en cas de baisse de revenus, sans les retards désastreux qui sont la règle de nos allocations sociales. Il sera financé largement par un redéploiement d’aides existantes, par des économies de frais d’administration des aides et par des hausses ciblées d’impôts, TVA et tranches supérieures de l’impôt sur le revenu», dit-il.

Un RSA "de luxe"...

Plusieurs remarques importantes.

Soyons clair : ceci n'a rien à voir avec le revenu ou le salaire "universel", dont le principe fondateur est son versement à tous, sans condition. Le «revenu citoyen» version Dominique de Villepin, c'est juste un «socle» (comme le mot accolé à la nouvelle mouture du RMI…) «fixé autour de 850 euros, pour tous les Français ayant des revenus inférieurs au revenu médian, c'est-à-dire 1.500 euros, qui serait garanti et versé de façon dégressive jusqu'à ce niveau de revenus», a-t-il réitéré dans une interview au Monde. Ce n'est donc qu'un minima social unifié et quasi doublé, qui ne libèrera toujours pas ses bénéficiaires du sceau infamant de l’"assistanat". Sera-t-il individualisé ou, lui aussi, tributaire des revenus du foyer ? Et si, au final, ce misérable «socle» doit être «financé largement par un redéploiement d’aides existantes», c'est-à-dire englober les droits connexes (CMU, tarif de première nécessité, allocation logement…) en virant à l'usine à gaz, quel sera le gain réel ?

Soyons précis : on rappelle qu'en 2008 le revenu mensuel médian s'élevait à 1.580 € — et non «autour de» ou «c'est-à-dire 1.500 euros»  — et que le seuil de pauvreté, qui concernait 13% de la population avant la crise, était fixé à 950 €/mois pour une personne seule. Il est à déplorer que ce «revenu citoyen», «de l’ordre de» ou «autour de» 850 €, ne tente même pas de le franchir ! «Autant dire le strict nécessaire. Aucun luxe», précise en toute franchise M. Galouzeau de Villepin, qui n'a jamais connu le dénuement. Néanmoins, c'est sans vergogne qu'il se contredit en avançant que cela suffit «pour construire une vie digne et libre».

Notez aussi que ce revenu sera soumis à obligation. Oh, ce n'est pas bien méchant à côté du "suivi mensuel personnalisé" des chômeurs qu'il a instauré en 2006 : il suffira de justifier son «engagement moral de poursuivre une activité — travail, formation, bénévolat associatif, engagement politique ou syndical, création artistique» — notez que Dominique de Villepin dit "travail" au lieu d’"emploi", ce qui n'est pas la même chose. Or, la plupart des exclus de l'emploi et de la richesse nationale savent très bien s'occuper, travailler, se rendre utiles. Ils ne sont pas tous avachis, à picoler devant leur télé. Leur utilité majeure, à leur corps défendant, c'est de permettre au libéralisme économique mondialisé, au patronat et aux actionnaires de s'enrichir sur leur dos et celui du salariat.

On ne rentrera pas dans le détail du mode de financement, encore trop vague, puisque de toutes façons ce projet faussement ambitieux ne verra pas le jour. On peut juste remarquer qu'après avoir réduit le nombre des tranches d'imposition de 7 à 5 et intégré au barème de l'IR l'abattement de 20% quand il était premier ministre, manœuvre qui a bénéficié aux plus aisés, M. de Villepin évoque des «hausses ciblées d’impôts»… dont la TVA, connue pour pénaliser les plus modestes. M. de Villepin confirme le vieil adage droitier : "T'en fais pas. Ce que je te donne d'un côté, je te le retirerai de l'autre".

SH

L'avis de Yoland Bresson, économiste et président de l'Association pour l'Intauration du Revenu d'Existence (AIRE) :



Lire aussi :
Articles les plus récents :
Articles les plus anciens :

Mis à jour ( Jeudi, 26 Janvier 2012 17:51 )