L'intérim n'est plus un révélateur de santé du marché du travail

Mercredi, 13 Avril 2011 21:49
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Parce qu'il a enregistré une hausse de 2,3% en février après deux mois de baisse, on y voit un signe positif sur le front de l'emploi. Or, rien n'est plus trompeur.

On se réjouit que l'intérim soit reparti à la hausse. En effet, après deux mois de baisse, le nombre d'intérimaires a augmenté en février. Ils sont 665.200, selon Pôle Emploi : un chiffre en hausse mensuelle de 2,3% et en croissance annuelle de 18,1%, qui fait de l'intérim le premier employeur privé de France.

On se réjouit que cette progression ait été tirée par l'industrie (+3,3%). Sauf que, depuis trente ans, ce secteur a perdu plus de 2 millions d'emplois pérennes. Aujourd'hui, il tourne avec 47,2% d'intérimaires !

Plus de 78% de ces salariés sont des ouvriers, à 40% qualifiés, et 73% des postes sont occupés par des hommes. Autrefois bien rémunéré du fait de son statut précaire, l'intérimaire est devenu un travailleur moins payé que les autres, beaucoup plus exposé aux accidents du travail et socialement isolé, alternant missions et périodes de chômage.

D'un intérim conjoncturel à l'intérim structurel

Croire que l'intérim fait office de baromètre du marché de l'emploi — de la même façon qu'on disait autrefois «Quand le bâtiment va, tout va» — est une légende.

Depuis 20 ans, les entreprises se servent des contrats temporaires pour disposer d'une masse salariale plus flexible. L'emploi intérimaire est devenu une variable d'ajustement quasi systématique, il s'est banalisé — au passage, l'intérimaire a perdu les avantages liés au caractère exceptionnel de sa fonction —, et son développement a contribué à la précarisation structurelle de l'emploi.

L'intérim (tout comme notre taux de salariés rémunérés au Smic…) est une exception française : l'Hexagone représente 35% de son marché mondial. Or, l'intérim n'est plus un facteur d'insertion. Répondant autrefois à des aléas conjoncturels, il restait un tremplin vers l'emploi stable. Aujourd'hui, il n'est pas rare de voir des intérimaires cumuler 5 à 6 années de missions, alors que la moitié de ces travailleurs pourrait être embauchée en CDD ou en CDI.

Les responsables de cette précarisation structurelle sont non seulement les employeurs, désormais abonnés à son recours, mais les agences d'intérim elles-mêmes. Depuis 2008, elles peuvent effectuer des recrutements en CDI ou en CDD. Mais elles ne le font pas car il est plus rentable pour elles de placer des intérimaires. Un contrat en intérim leur rapporte environ 1.500 € par mois, contre 5.000 € par candidat pour un CDI. Les grands groupes d'intérim utilisent donc le recrutement pour attirer des demandeurs d'emploi vers le système intérimaire en leur présentant des missions comme une pré-embauche, et le piège se referme : une fois entrés dans la spirale de l'intérim, ils ont peu de chance d'en sortir, les employeurs refusant par la suite de marquer l'essai.

La crise a enfoncé le clou

Actuellement, huit embauches sur dix se font en CDD ou en intérim. Selon les derniers chiffres de la Dares, les missions temporaires représentent plus de 15% de l'emploi salarié.

La croissance reste atone : même l'OCDE estime qu'elle pourrait être modérée pendant plusieurs années. Et ce n'est qu'à partir de 2,5% de croissance que l'économie se met à créer plus d'emplois qu'elle n'en détruit.

De leur côté, les employeurs attendent des signes de croissance pérenne pour recruter à nouveau : la dernière Enquête BMO de Pôle Emploi le prouve avec 80% des entreprises sondées qui font le dos rond, n'escomptant pas d'amélioration notable avant 3 ou 5 ans.

L'intérim à durée indéterminée, l'emploi précaire qui ne permet pas de vivre et de se projeter a donc de beaux jours devant lui, et il est totalement inapproprié de s'en réjouir.

SH

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Mis à jour ( Mardi, 10 Mai 2011 13:32 )