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Accueil La revue de presse Les Français sont-ils vraiment las et découragés ?

Les Français sont-ils vraiment las et découragés ?

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Gérard Mermet, sociologue, place l'année écoulée sous le signe de la morosité : «Les Français paraissent las, découragés face à l'avenir»

La vie en couple ou en solitaire, l'image du travail, les nouvelles habitudes de consommation... Depuis 1984, Gérard Mermet s'est fait spécialiste ès vies quotidiennes. Après avoir ausculté les Français pendant deux ans, il publie, avec Francoscopie 2005, son dixième diagnostic des évolutions collectives de nos contemporains. Et en dégage quelques tendances, dont celle de la grande morosité.

Libération : Quel grand changement avez-vous perçu ces deux dernières années ?
Gérard Mermet : Le processus de morosité des Français s'est accéléré en 2004. Un étranger débarquant en France serait étonné de voir combien les Français paraissent las, découragés face à l'avenir. Il serait frappé par le contenu pessimiste des médias et le sentiment diffus de décadence qui perce dans les discussions. Les Français se sentent manifestement mal dans le nouveau siècle. Ils sont persuadés que ça va moins bien aujourd'hui qu'hier. Et ce mal-être touche la plupart des catégories sociales, les jeunes comme les vieux. J'ai réalisé une étude où les personnes interrogées avaient le choix entre trois adjectifs pour qualifier la société contemporaine : 40 % d'entre eux la considéraient sur le déclin, 28 % la disaient immobile, et 32 % en progrès. Depuis 2002, les articles, les livres démontrant la réalité du déclin de la France se sont multipliés. Quand les gens sont si nombreux à parler de déclin, c'est que quelque chose ne va pas.

Libé : D'où vient ce malaise ?
G.M. : Il est alimenté par une société de plus en plus anxiogène. Les vies professionnelles (part croissante des petits boulots, de l'intérim, des contrats à durée déterminée), familiales, conjugales (diversification des modèles familiaux, familles recomposées) sont de plus en plus précaires. Le fait que rien n'est acquis, rien n'est durable, accroît le stress. En même temps, que ce soit d'un point de vue administratif, professionnel ou médiatique, les Français ont le sentiment que le système les harcèle en permanence. Ils subissent une multiplication de bruit et de sollicitations. Un exemple : entre la publicité traditionnelle, l'arrivée des spams sur l'Internet et le marketing téléphonique, j'ai calculé que le stimulus publicitaire a été multiplié par 200. Le rythme d'évolution des produits technologiques - qui pousse au renouvellement fréquent, nécessite des efforts d'adaptation - est aussi perçu comme une forme de harcèlement. S'ajoute avec ces nouvelles technologies (cookies, spywares) le désagréable sentiment d'être sous surveillance. Tout ceci renforce l'état d'énervement, de stress et de méfiance. C'est ce que j'appelle la «société mécontemporaine».

Libé : Dans le même temps, le modèle commun continue de se déliter au profit de communautés plus restreintes.
G.M. : Les appartenances sont moins fortes et plus éphémères. Toutes les institutions (politique, armée, église, école) sont mises en question et une grande défiance s'est installée à leur égard. Une vie en communauté tend à se substituer au modèle républicain qui était un système intégrateur et uniformisateur. Ce mouvement de désaffection est d'ailleurs le même en ce qui concerne les grandes entreprises. Plus elles sont grosses et moins elle sont considérées. Elles sont perçues comme les relais de la mondialisation. Et les Français en ont peur. Ils adoptent alors une attitude de défiance, de résistance face à un monde globalisé tiré par une idéologie libérale ; ils sont loin d'être réconciliés avec l'idée de marché.

Libé : Mais entre le principe de réalité et le plaisir, vous dites que les Français n'hésitent pas. Ils choisissent le plaisir...
G.M. : Il y a une dimension hédoniste et régressive à se dire «encore une minute, monsieur le bourreau» face au changement. On se trouve en quelque sorte dans une incapacité collective à appréhender le réel. Il y a une difficulté à se projeter dans le long ou même le moyen terme. On essaie de ne pas être trop conscient de ce qui se passe. Cela implique un certain repli sur soi et sur la cellule à laquelle on appartient. C'est ce que j'appelle le «petisme». D'ailleurs, la proximité est l'idée de l'année. Et son alliée objective est la «quête de la simplicité». Pour être réussie, une vie doit être simple.

Libé : Dans cette tendance à l'individualisation, 2004 restera comme l'année des célibataires, avec l'arrivée des speed dating et de magazines dédiés à cette catégorie. La recherche de l'âme soeur est-elle une tendance de fond ?
G.M. : C'est d'abord un vrai problème de solitude. Quatorze millions de personnes vivent seules et beaucoup ne le souhaitent pas. On arrive au terme d'une période où vivre seul était synonyme de liberté. Nous vivons prétendument dans la société de la communication. C'est aussi parfois celle de l'exclusion ou de l'excommunication. On assiste à un besoin de partager. Vivre à deux permet de résister plus facilement à toutes les agressions du monde extérieur. La difficulté est alors de concilier la vie individuelle et l'harmonie d'une vie à deux.

Libé : Malgré ce constat d'une société empêtrée dans la morosité, voyez-vous des raisons d'espérer ?
G.M. : Il y a une prise de conscience en gestation. On ne pourra pas se contenter de se dire que ça ne va pas pendant des années. Je pense qu'il sera possible de réconcilier les Français entre eux. On n'est pas à la fin de l'Histoire, plutôt entre deux Histoires. Nous vivons la fin d'une période de transition qui a débuté dans les années 60.

(Source : Libération du 31/12/04)

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Mis à jour ( Samedi, 01 Janvier 2005 16:39 )  

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