Entourloupe sur le RSA : Martin Hirsch a-t-il raison ?

Jeudi, 09 Juin 2011 14:11
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A certains égards il semblerait que oui, l'Etat profitant de l'échec du RSA "activité" pour réduire sa dotation au FNSA.

Hier, avant de se rendre à la convention sur la «justice sociale» organisée par l'UMP dans la très chic Salle Gaveau, Martin Hirsch s'exprimait sur France Info, craignant une «entourloupe» du gouvernement par l'utilisation à d'autres fins de l'excédent d'un milliard d'euros enregistré par le Fonds national des solidarités actives en 2010. «Ça me ferait mal au cœur qu'on utilise l'argent des travailleurs modestes pour alléger l'impôt de solidarité sur la fortune», a-t-il lancé, soupçonnant une manœuvre «machiavélique»...

François Baroin, porte-parole du gouvernement et ministre du Budget, l'a aussitôt recadré, dénonçant des «sottises» et «une contre-vérité qui n'est pas acceptable»; surtout, lui rappelant son «obligation de réserve» (?). D'autres réactions au sein de l'UMP ont fusé, encore plus sévères.

Martin Hirsch a-t-il raison de parler d’«entourloupe» en soupçonnant le gouvernement de détourner l'argent du RSA en faveur des plus riches ? Quelque part, oui...

Le RSA "activité" coûte beaucoup moins cher que prévu

En juin 2009, le RMI et l'API fusionnent pour devenir le RSA "socle" tandis qu'est créé le RSA "activité" pour les «travailleurs pauvres». Il est décidé que le financement du RSA "socle" sera à la charge des départements (près de 7 milliards d'euros en année pleine) tandis que le RSA "activité" et la prime de Noël seront financés par le Fonds national des solidarités actives, créé à cet effet. Le FNSA est alimenté par une dotation de l'Etat ainsi que par une taxe de 1,1% sur les revenus du patrimoine et de placement, créée afin que «le capital contribue à la lutte contre la pauvreté».

Fin 2009, cet impôt a rapporté 833 millions d'euros qui ont intégralement pourvu aux besoins du RSA "activité" (744 millions). Restaient à financer la prime de Noël (380 millions), les allocations de retour à l'emploi et des frais de gestion (170 millions), dépenses que la dotation de base de 500 millions versée par l'Etat a largement couvertes.

En 2010, année pleine, le FNSA fut à nouveau excédentaire : en raison d'une très lente montée en charge du RSA "activité" et d'un RSA "jeunes" aussi neuf que restrictif, le coût total du dispositif s'est établi à un peu plus de 1,3 milliard d'euros tandis que la taxe sur les revenus du patrimoine en rapportait 1,2. Une fois de plus, pour couvrir toutes les dépenses, l'Etat s'est acquitté d'une somme inférieure à ce qui était prévu, se donnant l'opportunité de revoir à la baisse le montant des dotations suivantes au lieu de le maintenir afin d'améliorer le dispositif. Ce que déplore Martin Hirsch.

François Baroin — qui ne lui a fourni aucune réponse quant à l'utilisation de l'excédent de 2010 — a précisé que la taxe de 1,1% va rapporter «1,17 milliard d'euros en 2011, 1,2 milliard en 2012», tandis que les dépenses du FNSA sont «évaluées à 1,8 milliard en 2011 et 1,9 milliard en 2012». L'Etat a donc prévu des dotations de 630 millions pour cette année et de 700 millions l'année prochaine. Or, à moins que le nombre de bénéficiaires du RSA "activité" décolle ou que les conditions d'accès au RSA "jeunes" soient assouplies, ces montants devraient être encore supérieurs aux besoins.

Pourquoi le RSA "activité" ne décolle-t-il pas ?

Le gouvernement tablait sur 2 millions de bénéficiaires. Fin 2010, ils n'étaient que 670.000 (et un peu plus de 8.000 pour sa version "jeunes"). Fin 2009, ils étaient 404.000.

D'abord, cette sous-utilisation montre qu'il n'y a pas assez d'emplois disponibles pour permettre au RSA "activité" de répondre à son objectif de départ : garantir un retour à l'emploi suffisamment rémunérateur afin d'extraire des travailleurs pauvres du seuil statistique officiel.

Ensuite, depuis la création du RSA, le gouvernement ne cesse de stigmatiser ses allocataires. S'il jette la pierre à ceux qui ne travaillent pas et perçoivent le RSA "socle", ce dénigrement permanent n'encourage pas les demandeurs potentiels du RSA "activité" à se manifester pour peu qu'ils en connaissent l'existence, l'acronyme RSA étant à lui seul synonyme d'infamie et de déchéance sociale. Quant à ceux qui tentent le coup, le caractère particulièrement intrusif du questionnaire de cinq pages qu'il faut remplir a de quoi dissuader.

De surcroît, parmi les bénéficiaires actuels rodés à la déclaration trimestrielle de ressources, un tiers subit des dysfonctionnements usants : retards de paiement, calculs erronés, réclamations d'indus… autant de hics qui passent pour des fraudes. Ces tracasseries pèsent sur les plus précaires qui ne savent jamais combien ils vont toucher lorsqu'ils travaillent un mois 20 heures, l'autre 60, et le suivant pas du tout. C'est ainsi que chaque mois, la CAF recense 200.000 allocataires dont l'éligibilité a varié d'un mois sur l'autre.

Tous ces désagréments doublés d'une sous-information (désinformation ?) expliquent cette mauvaise performance dont on se demande à quel point elle n'est pas voulue. On ne peut s'empêcher de faire un parallèle avec les tarifs sociaux de l'énergie où plus des deux-tiers des ayants-droit échappent aux dispositifs TPN ou TSS, ce qui permet à EDF et GDF de faire des bénéfices sur le dos des pauvres et à l'Etat actionnaire de réaliser quelques économies...

Martin Hirsch a peut-être été maladroit dans la formulation de son sentiment. Mais il n'a pas tort quand il soupçonne l'UMP — dont l'aversion pour tout ce qui est social (vade retro, Satanas !) et la générosité envers les plus riches sont patentes — de favoriser l'échec du RSA "activité" afin de ne pas avoir à s'impliquer plus, ni dépenser plus.

SH

DERNIÈRE MINUTE : Comment sera utilisé le milliard d'excédent du FNSA qui était prévu pour aller vers les ménages les plus modestes ? Selon Eco89, la question, posée brutalement par Hirsch, garde son intérêt.

Le raisonnement est simple : après la réduction de l'ISF que le gouvernement a promis d'engager sans aggraver le déficit public, cet impôt ne rapportera plus que 2,2 milliards au lieu des 4 milliards actuels. La suppression du bouclier fiscal rapportera de son côté 720 millions d'euros. Il reste donc 1,1 milliard d'euro à trouver. Un milliard en trop d'un côté, un milliard en moins de l'autre… l'affaire pourrait être entendue.

Selon un avocat spécialiste des dépenses publiques, «la règle générale est la suivante : quand on a un surplus dans le budget de l'Etat, il rejoint la masse des recettes et son utilisation ultérieure sera décidée par le Parlement». Donc, ce qui n'est pas dépensé n'est pas provisionné pour l'année suivante mais remis au pot commun. Et quand on sait comment l'UMP fait usage du pot commun depuis quatre ans, il est donc permis de douter.




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Mis à jour ( Dimanche, 26 Juin 2011 15:13 )