La face cachée d'Ingeus

Mercredi, 19 Août 2009 07:53
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Certains conseillers de la société privée Ingeus pourraient être licenciés. Du coup les langues se délient dans l'entreprise australienne, symbole de la privatisation rampante du service public de l'emploi.

Officiellement, «aucune décision n'est prise» quant à l'avenir de 15 conseillers lillois (70 en France) de l'opérateur privé qui assurait le suivi de chômeurs pour Pôle Emploi dans la région. Erik Pillet, directeur général d'Ingeus France, concède juste que s’«il est trop tôt pour parler de licenciements, c'est une hypothèse. Il y en a d'autres».

En cause la décision de Pôle Emploi, la semaine dernière, de ne pas retenir Ingeus parmi les 31 prestataires privés qui suivront 320.000 chômeurs en deux ans dans tout le pays (1). Implanté depuis 2005 dans la région, sous-traitant historique du service public de l'emploi, Ingeus postulait pour obtenir la part nordiste de ce marché. Mais c'est le cabinet Sodie (groupe Altedia, fondé par l'ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy, Raymond Soubie) qui lui a été préféré... «Une déception» pour Erik Pillet, qui explique que la concurrence l'a emporté en «tirant les prix vers le bas».

En interne, on estime que la messe est déjà dite. Chantal (2), une conseillère lilloise, raconte que «les écrits parlent de restructuration. À l'oral, on nous a bien dit dès juillet qu'il y aurait des licenciements». La pilule a du mal à passer et a pour effet de faire se délier les langues dans cette boîte australienne. «La vérité, c'est qu'Ingeus se fait du fric sur le dos du marché de l'emploi tout en maintenant un climat de terreur sur les conseillers et les demandeurs d'emplois», témoigne Chantal. Elle dénonce «un système de management à l'anglo-saxonne, une course au résultat, sans réelle prise en compte de la problématique du candidat. On m'a déjà dit que je passais trop de temps en entretien». Et d'expliquer comment en cours d'année, alors que la crise battait son plein, on lui a demandé de porter ses «objectifs de 4 retours à l'emploi facturables à 8». Sans quoi, «c'est le plan d'action, l'engueulade, la surveillance»...

Ingeus, machine à radier des chômeurs

Élodie (2), une autre conseillère, raconte qu'on l'a traitée «d'incapable» parce qu'elle n'arrivait pas à tenir ses objectifs. «Dans ce cas-là, ils nous disent qu'on peut toujours partir, qu'il y a du monde à la porte qui attend de rentrer». Un comble pour cette conseillère venue à Ingeus pour faire «de l'insertion professionnelle, pas du contrôle social».

Selon elle, en effet, plus qu'à du placement individualisé, Ingeus a participé à «la radiation de nombreux demandeurs d'emplois. On nous demandait de faire des fiches de liaison pour les chômeurs qui posaient des difficultés de placement». Chantal indique, elle, «qu'on nous demandait de ne travailler qu'avec les "job ready", prêts à l'emploi et de laisser tomber "les cas sociaux"».

Les deux conseillères tournent également leurs critiques vers la «soi-disant méthode innovante d'Ingeus qui consiste tout juste à s'asseoir à côté du demandeur d'emploi plutôt qu'en face de lui. La blague, chez nous, c'est de dire que la méthode Ingeus, c'est comme la fricandelle : personne ne sait ce qu'il y a dedans». Formation a minima, pas de vraie prospective vers les entreprises de la région… pour Chantal, la méthode Ingeus, «c'est du vent».

Chantal et Élodie ne se font guère d'illusions sur leur avenir. «On en saura plus lors du CE du 26 août», souffle l'une d'elle sans trop y croire.

Sébastien Leroy pour Nord Eclair

(1) Pour la coquette somme de 425.000 € payée par les cotisations salariales...
(2) Prénoms d'emprunt.

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