Que l'on nous donne de bons emplois et nous aurons de bons chômeurs !

Vendredi, 01 Février 2008 10:32
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La fusion Unedic-ANPE a été adoptée dans une quasi indifférence. Jean-Claude Quentin, ancien secrétaire confédéral de Force Ouvrière, donne son avis à La Tribune.

Puisqu'aucune voix ne se fait entendre pour discuter du bien-fondé de la fusion Unedic-ANPE, je crois nécessaire de m'exprimer sur ce sujet autant sensible pour nos concitoyens que le pouvoir d'achat.

La perte d'emploi doit être considérée sous son double aspect de perte de revenus et d'identité sociale. La structure actuelle séparant l'indemnisation du placement reflète cette volonté des interlocuteurs sociaux et des gouvernements de distinguer ce qui relève de l'immédiat et du futur dans une vie professionnelle. Les Danois, qui n'ont pas mêlé les deux, ne s'y sont pas trompés, allant même jusqu'à confier aux syndicats la gestion des allocations de chômage. Qui, aujourd'hui, conteste leurs résultats ?

Mais la vision instrumentale qui nous est imposée tient beaucoup plus d'une volonté technocratique face à 27 milliards d'euros (budget annuel de l'Unedic) dont l'administration probable plonge certains hauts fonctionnaires dans la plus délicieuse des félicités. La loi entérinant cette fusion prévoit (à la fin de son article 3), d'autorité, une ponction minimum de 10% sur les contributions des entreprises, ce qui en dit long sur la volonté du ministère de l'Economie, et accessoirement de l'Emploi.

Le plus étonnant est que le Medef ne proteste absolument pas contre ce prélèvement. Aurait-il oublié tous les "facilités" qu'il tire de l'assurance chômage : retraites anticipées, emplois précaires, flexibilité, restructurations… ? Soyons justes : ces 2,7 milliards serviront, pour 1,5 milliard, au maintien - pour combien de temps ? - de l'actuelle structure de l'Unedic, fondue dans le grand ensemble. Mais le 1,2 milliard restant, les caisses étant vides, viendra suppléer certaines économies budgétaires.

Il serait temps que l'on nous démontre que, budgétairement parlant, cette fusion est de nature à améliorer l'accompagnement des demandeurs d'emploi. Car la raison principale évoquée est bien celle-ci, qui dit que 30.000 agents ANPE renforcés par 13.000 venus de l'Unedic, permettront de mieux suivre les chômeurs en abaissant pour chacun les quotas dont il a la charge. C'est faire une addition de choux et de carottes tant les métiers des uns et des autres sont différents.

Conseiller un demandeur d'emploi ne s'apprend pas en six mois, à moins de recevoir pour mission, éventuellement évaluée aux résultats, davantage de contrôler que d'accompagner. Mais un demandeur d'emploi ne ressemble pas à un autre, le chômeur standard n'existe pas. Sait-on que sur 1,9 million de personnes indemnisées, plus de la moitié vient du travail précaire, 270.000 sont dispensés de recherche d'emploi (1). Il n'y a pas un chômage mais plusieurs formes pour lesquelles la prise en charge, y compris sans indemnisation, doit obligatoirement être différenciée.

Interrogeons-nous aussi sur les "divorcés à l'amiable", nouveaux venus par la rupture négociée du contrat de travail. Ne vont-ils pas rapidement déchanter au contact de cette gestion velléitaire de l'emploi ? Ce que l'on nous construit, par cette fusion, est un monstre qui ne pourra pas démontrer une quelconque efficacité avant plusieurs années tant l'assimilation de ses nouvelles composantes sera lourde.

D'ici là, le chômage aura changé de nature. Le retournement de la pyramide des âges aura fait son œuvre et, si Dieu le veut, la croissance... Non, le traitement du chômage n'est pas un problème administratif, ni même un phénomène statistique. Deux mots dominent ce débat : PRÉCARITÉ et EXCLUSION. Que l'on nous donne de bons emplois et nous aurons de bons chômeurs ! Mais l'espoir est vain. La rigueur du placement va précariser l'indemnisation en ignorant que, en la matière, la stabilité du retour à l'emploi est proportionnelle au temps qui a permis de le préparer.

Jean-Claude Quentin pour La Tribune

(1) NDLR => il nous semble que les chômeurs "âgés" en DRE (la très mal nommée "dispense de recherche d'emploi", puisqu'il s'agit en réalité d'une dispense du suivi/contrôle ANPE) sont bien plus nombreux : ils étaient 415.600 à fin 2006 et représentaient 20% des inscrits à l'ANPE sans faire partie d'aucune de ses 8 catégories.

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Mis à jour ( Vendredi, 01 Février 2008 10:32 )