Colère et fatigue : Paroles de SDF

Dimanche, 14 Décembre 2008 20:25
Imprimer
Il s'appelle Vincent. Je l'ai rencontré par hasard devant une boutique. On a échangé quelques mots, une blague. Je lui ai demandé d'où il venait, il m'a répondu : "du trottoir d'en face". J'ai cru qu'il était routard, avec son sac à dos. Il est SDF. On a papoté dix minutes. Il était visiblement content de parler. Je lui ai proposé de continuer la conversation devant un café au troquet du coin. Au chaud.

La discussion s'oriente rapidement sur les gens de la rue et leurs conditions. Et je me rends compte que je me suis de nouveau trompé. Vincent n'est pas content de parler, il a besoin de parler.

Ça fait bientôt un an qu'il "fait la rue". Avant ? Avant, il était chef d'entreprise. Pas patron de multinationale, non : de petites PME dans différents secteurs. Une centaine de salariés au total. Je suis surpris, ça ne cadre pas avec ce que l'on entend de-ci de-là. Je m'autorise à lui demander de me raconter son histoire. Un sourire, mi triste, mi-sarcastique. Il doit me prendre pour un de ces bobos qui cherche des histoires à raconter à ses amis au dîner dans son loft. Mais il s'en fout, me dira-t-il à la fin. Il me parle parce que ça lui fait du bien.

Il me dit avoir eu un objectif de vie. Il voulait faire fortune vers 40 ans, tout revendre, voir grandir ses gosses et jouer les business angels auprès de jeunes entrepreneurs. Son train de vie était agréable, mais sans ostentation. "J'aurais pu en montrer, m'acheter Ferrari et toutes ces conneries… mais comment tu peux décemment garer une bagnole de ce prix sur le parking d'une usine où tu sais que les salariés sont à 1.500 € par mois ?"

(...) Il me sort un exemplaire des Echos récent. Surprise. "Je survis avec le RMI. Je loue une piaule une fois par semaine dans un Etap-hôtel. C'est un peu plus cher que le Formule 1 mais la douche est dans la chambre. Et je m'autorise à acheter un quotidien par semaine… pour ne pas être déconnecté du monde.

Je vais te raconter une anecdote. J'ai été convoqué par le conseil général. J'y suis allé. On m'a demandé pourquoi je n'étais pas inscrit à l'ANPE. Je leur ai répondu que je n'étais pas employable en l'état. Mes fringues puent, je ne sais rien faire de mes dix doigts (il a une formation commerciale) et que la priorité est de retrouver un logement pour poser les choses. Puis de me rhabiller. La nénette du conseil général m'a alors dit que je représentais un poids pour la société et que, puisque je ne mets pas de bonne volonté, elle demande l'annulation de mon RMI. Véridique. Alors j'ai pété un plomb. Je lui ai hurlé qu'il y a peu encore, je cotisais. Que je ne fais pas la manche. Que j'ai payé sur mes trois dernières années en activité 1,8 m€ de charges et d'impôts, que si elle était payée aujourd'hui et demain, c'est aussi un peu grâce à moi. Qu'elle arrête immédiatement de me parler comme à un gosse qu'on gronde et que ce putain de RMI est un droit. Au final, ils ont averti mon assistante sociale et me l'ont laissé. Ça, tu vois, ce regard et ces paroles de cette pétasse, ça me détruit." (...)

=> Lire tout l'article

Lire aussi :
Articles les plus récents :
Articles les plus anciens :

Mis à jour ( Dimanche, 14 Décembre 2008 20:25 )