L'affaire Guy Roux, une hypocrisie gouvernementale

Samedi, 30 Juin 2007 14:16
Imprimer
Pour ce gouvernement, la mésaventure de Guy Roux offre l'opportunité de communiquer sur l'emploi des seniors tout en donnant à l'opinion une image volontariste, alors qu'en réalité il est complice du désastre. Zoom sur une imposture.

Jugé trop vieux par la Ligue nationale du football professionnel (sa charte prévoit qu'un entraîneur ne peut exercer que jusqu'à 65 ans), Guy Roux, bientôt 69 ans, s'est vu invalider son dernier contrat avec le Racing Club de Lens. Il a donc fait appel devant le Comité National Olympique et Sportif Français, persuadé que celui-ci, qui est régi par la loi européenne et non la charte professionnelle, lui donnera raison : «Aucune discrimination n’est permise, ni pour le sexe ni pour l’âge ni pour la religion. Et la loi européenne dit la même chose. Donc, je pense que dans l’étape juridique suivante, c’est à dire le CNOSF, on me rendra justice», a déclaré l'entraîneur.

Récupération. A première vue, cette histoire peut paraître effectivement scandaleuse : pourquoi se priver des compétences d'une personne talentueuse à cause d'une limite d'âge ? C'est ainsi que Christine Lagarde, puis Nicolas Sarkozy, ont réagi. Le nouveau président de la République a considéré que «c'est plus la règle qui est vieille que Guy Roux» (la charte de la LFP date de 1974 et a été élaborée collectivement entre joueurs, clubs, et dirigeants de la Ligue et de la Fédération). La nouvelle ministre de l'Economie a dit qu'il est «stupide de dire à quelqu'un de bon et de compétent : "Vous ne pouvez pas travailler parce que vous êtes trop vieux". Ces limites d'âge, ces barres fatidiques, il faut réfléchir pour les supprimer». Et lundi après-midi Roselyne Bachelot, la nouvelle ministre des Sports, recevra personnellement la star du foot...
Tout cela est parfait : un senior célèbre au service d'un sport national (la touche pipole est là pour parfaire le style sarkozyen…) et voilà notre Guy Roux propulsé au rang de symbole de l'éviction prématurée des salariés âgés du monde du travail !

"Intraitables". Les caisses d'assurance vieillesse sont en déficit et il n'y a pas assez de cotisants (trop de chômeurs, peut-être ?), donc ceux qui cotisent aujourd'hui doivent jouer les prolongations : c'est le principe de la réforme Fillon qui exige de travailler plus longtemps pour assurer la pérennité des retraites, sans tenir compte de la pénibilité... Mais, hélas, les salariés sont considérés comme trop âgés et foutus à la porte des entreprises dès 40 ans, et sont ensuite discriminés à l'embauche. Outre cette "seniorisation" précoce, la France fait partie des mauvais élèves de l'Union européenne avec un taux d'emploi des 55-64 ans - les vrais seniors - d'à peine 38%.
«Sur ce sujet, nous allons être intraitables ! Il y aura une pression qui va être mise sur les entreprises pour qu’elles gardent les salariés jusqu’à l’âge de la retraite», a déclaré François Fillon il y a quelques semaines alors que depuis cinq ans, l'UMP au pouvoir a échoué sur ce point. A l'instar du chômage de masse, le problème de l’emploi des seniors reste récurrent voire structurel, malgré le plan national d'action concerté lancé en juin 2006 - une mascarade marketing qui a coûté la bagatelle de 5 millions d'euros - et qui a succédé à l'accord interprofessionnel entre syndicats & patronat signé au mois de mars 2006. Autre mascarade pour Annie Thomas, présidente CFDT de l'Unedic qui dénonça alors «le double langage d'un patronat qui négocie un accord (en faveur de l'emploi des seniors) d'un côté, mais agit différemment dans les entreprises. [...] Les chefs d'entreprise se séparent en premier lieu des seniors. Les salariés, bien souvent, s'en accommodent et parfois, les syndicats utilisent ce dispositif pour régler des situations difficiles, lors de plans sociaux par exemple». Et d'ajouter qu'à ses yeux «la politique de maintien dans l'emploi des seniors reste très virtuelle»...

Hypocrites. Que pensent Nicolas Sarkozy et Christine Lagarde des licenciements de solidarité, un nouveau concept fumeux qui justifie qu'on se débarrasse de ses salariés âgés pour maintenir l'emploi des salariés plus jeunes ? Que pensent Nicolas Sarkozy et Christine Lagarde de la dérogation exceptionnelle de l'Elysée dans le cas Jallatte où l'âge des préretraites, légalement prévu à 57 ans, a été ramené à 55 ans pour faciliter le plan social ? Qui, dans ce gouvernement, ose d'ailleurs s'opposer aux massives suppressions de postes "sans licenciements" qui poussent vers la porte des milliers de salariés âgés bien avant l'heure, et qu'on ne remplacera même pas par des jeunes ?

Alors tant mieux pour ceux qui, contraints ou non, sont sûrs de percevoir une retraite. Mais qui s'inquiète des "seniors" de moins de 55 ans qui goûtent désormais au chômage et à la précarité, et ont bien du souci à se faire pour leurs vieux jours puisqu'ils se sont même pas sûrs de pouvoir travailler jusqu'à 65 ans ? Savez-vous ce que leur a concocté le gouvernement précédent afin de les rendre plus "attractifs" auprès des employeurs qui les discriminent ? Des contrats d'avenir spécifiques et un CDD senior au rabais... Drôle de façon de reconnaître leurs compétences et de les payer à leur juste valeur.

Privilège. Aujourd'hui, travailler longtemps après l'âge légal de la retraite est réservé à quelques rares métiers : ceux qui ne sont pas trop fatigants (professions intellectuelles), ceux qui procurent une passion éternelle (musicien, entraîneur de foot) ou ceux qui ont trait au pouvoir et au prestige (chef d'entreprise, homme politique). Guy Roux fait partie de ces exceptions et il est fort bien rémunéré, qu'il entraîne des joueurs ou qu'il apparaisse dans des spots de pub, alors que la plupart des seniors qui souhaitent poursuivre une activité après 60 ans seront, à la rigueur, acceptés comme bénévoles, parfois comme bouche-trous, ou largement sous-payés dans le cadre du cumul emploi-retraite (encore une aubaine pour les employeurs)...

Guy Roux est un privilégié et, en cela, n'est absolument pas représentatif de la majorité des seniors. Le problème de Guy Roux n'est donc pas celui des seniors : que ce gouvernement cherche à l'accaparer comme symbole pour se faire mousser est une vaste imposture. Et les petits arrangements qu'on s'apprête à lui trouver ne profiteront qu'à lui seul tandis que les autres, tous ceux qui aimeraient bien travailler pour avoir droit à une pension décente, resteront encore longtemps sur le banc de touche.

Lire aussi :
Articles les plus récents :
Articles les plus anciens :

Mis à jour ( Samedi, 30 Juin 2007 14:16 )