Cour des Comptes, administration et politique de l'emploi

Dimanche, 30 Avril 2006 20:30
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La Cour des Comptes a publié le 23 Mars dernier, sous la forme d’un fascicule séparé, un rapport intitulé «L’évolution de l’assurance chômage : de l’indemnisation à l’aide au retour à l’emploi» où le service public de l'emploi en a pris pour son grade. Nous revenons dessus dans le détail.

La Cour des comptes nous allèche donc avec de nouveaux délices : comptabilisation officielle de seulement 59% des chômeurs (donc ça y est, c’est officiel !), dysfonctionnements et absurdités des organisations, gabegie du système informatique ANPE, effets d’aubaine pour les employeurs, etc… Pourtant elle manque singulièrement d’esprit critique. En voici quelques preuves :

1 - L’utilisation coûteuse des techniques de profilage montre le désir d’une prise en charge rapide de ceux qui en ont le plus besoin. Néanmoins, nulle part ne sont critiqués :
• L’utilisation à contre-emploi des techniques de profilage, au nom du culte du «résultat» essentiellement quantitatif, qui conduit à abandonner sans soutien les chômeurs les plus fragiles et les plus discriminés.
• L’ADE (allocation dégressive à l’employeur) accordée aux chômeurs de moins de 3 ans, qui bénéficie le plus aux plus récents chômeurs en leur accordant des primes à l’emploi supérieures à celles dont bénéficient les chômeurs les plus fragiles, tous autres dispositifs confondus.

2 – Conseil d’un transfert des fluctuations conjoncturelles de charges de travail sur le secteur privé, ce qui permet une réaction plus souple aux besoins que la création continue d’emplois au sein de l’ANPE.
• Pourquoi les organisations d’assurance chômage ne peuvent-elles faire preuve de souplesse ? En ont-elles d’ailleurs besoin ?
• Quand les prévisions 2006 annoncent 1 million de créations de postes pour 5 millions de chômeurs officalisés par le rapport, on peut s’étonner qu’aucune réflexion n’aborde le problème du chômage structurel. Car il ne s’agit plus là de "fluctuations conjoncturelles"...

3 – Le contrôle des demandeurs d'emploi.
• Alors que les effectifs de l'ANPE croissent de 3.500 employés pour mieux contrôler les chômeurs, aucun contrôle des entreprises n’est suggéré malgré la dénonciation d’effets d’aubaine, ni aucun conseil à une meilleure définition des postes et à une meilleure gestion (voire un contrôle) des effectifs et des pyramides des âges qui seraient nécessaires à une politique dirigiste et performante de l’emploi.
• Le contrôle des chômeurs n’est qu’une facette d’une politique dirigiste de l’emploi, et reste discriminatoire tant qu’elle ne s’applique qu’aux «partenaires chômeurs» en oubliant les «partenaires employeurs». L’Assurance chômage semble oublier son rôle d'intermédiaire «régulateur du marché» pour mieux faire porter la charge du problème uniquement aux citoyens sans défense. C’est un réflexe administratif multi-séculaire.

Comportements prévisibles dans les administrations

Dans la vénérable institution de la Cour des Comptes qui revendique sa création sous Charles V, il est peut-être humain que le poids des traditions empêche les visions créatives et l’emploi de techniques d’audit un peu modernes, tels l’évaluation contradictoire de politiques publiques, sur lesquels nos cercles occultes glosent depuis 15 ans sans jamais les pratiquer.

Comme de nombreuses administrations, la Cour des Comptes a été conçue pour servir un pouvoir royal, et concernant la formation des fonctionnaires, on parle parfois du "dressage" qui leur apprend à reproduire les réflexes de travail et modes de pensée issus de la tradition.
1789 a donc bien changé les modes de gouvernement, mais a oublié de changer les outils administratifs qui déforment leurs volontés. La révolution n’a été qu’à demi accomplie...

Chance ou malheur ? Le poids des traditions bureaucratiques perdure sans que puissent s’instaurer les changement de la France réputée immobile. Et pour cause.
Pouvez-vous imaginer que lorsque nos politiques s’échinent à faire votrer des lois, les bureaucrates ne s’intéressent qu’aux circulaires d’application rédigées dans l’ombre par des chefs de bureau, que pour les fonctionnaires, le bréviaire c’est la circulaire, qui chez eux prime sur la loi, même quand le texte de la circulaire a été égaré dans la nuit des temps, des archives, et des couches de sédimentation juridiques. Les réformes napoléoniennes n’ont pas changé des pratiques bureaucrates. Si un bon fonctionnaire c’est celui qui respecte le règlement au détriment des lois, de l’intérêt et du respect des citoyens, il ne lui reste plus qu’à penser à sa carrière ou à élaborer des «doctrines» administratives qui justifient à ses propres yeux son égocentrisme, pour continuer à prétendre assurer un «service public».

Attendons donc prochainement à l’ANPE, "jeune"» organisation en voie de bureaucratisation, l’apparition de doctrines d’autojustification qui permettront aux employés d’éviter la schizophrénie entre la sauvegarde de leur propre emploi et la conscience citoyenne.

Les raisonnements des politiques sont aussi victimes des traditions

Voyez vous ci-après l’analogie criante entre les pratiques actuelles et celles décrites par Tocqueville ? "Le gouvernement central ne se bornait pas à venir au secours des paysans dans leur misère ; il prétendait leur enseigner l'art de s'enrichir, les y AIDER et les y FORCER au besoin. Dans ce but, il faisait distribuer de temps en temps par ses intendants et ses subdélégués de PETITS ÉCRITS SUR L'ART agricole, PROMETTAIT DES PRIMES, ENTRETENAIT A GRANDS FRAIS DES PEPINIÈRES dont il distribuait les produits" (Alexis de Tocqueville, "L'ancien régime et la révolution", Gallimard 1991, p.10 - cité par Bernard Perret dans "L’évaluation des politiques publiques dans les administrations d’Etat").

par CartagDE

Nous vous recommandons de lire LE RAPPORT de la Cour des Comptes : résolument très instructif !

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Mis à jour ( Dimanche, 30 Avril 2006 20:30 )