Tout changer pour ne rien changer, la recette du néo-conservatisme sarkozyen

Mercredi, 07 Janvier 2009 02:31
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Dans son article «Sarkozy : le grand recul en avant» publié le 2 janvier dans Libé, Laurent Joffrin démarre l'année 2009 très, très fort...

S’agiter, bouger, agir, parler, réagir, se démener sans cesse : ce président a été imaginé par Paul Morand. C’est l’homme pressé de l’Elysée, héros philosophique qui repousse l’échéance ultime en emplissant d’une frénétique bougeotte chaque minute de sa vie.

Nicolas Sarkozy ou l’anti-Mitterrand : cet homme ne laisse jamais le temps au temps. Au contraire, il s’épuise à toujours le prendre de vitesse, galopeur invétéré, éternel coureur contre la montre ; comme si s’arrêter, c’était mourir. C’est le furet de la Cinquième, le TGV de la politique, le Speedy Gonzales de l’Europe, qui laisse tous les autres en arrière, condamnés à s’accrocher à ses basques pour le suivre, ballottés par l’incessant virage. Comme on dit sur les bateaux de course : commencez à fond et accélérez progressivement. Qui sondera l’inquiétude métaphysique qui se cache derrière cet activisme ? Solitude du sprinter de fond.

Ainsi, le film «Sarkozy 2008» se regarde comme ceux de la Belle Epoque, en accéléré, avec son héros sautillant et infatigable au premier plan. Carla intronisée à peine Cécilia partie, le «bling-bling» adoré puis brûlé, les réformes de la télé, de l’ANPE, de la Constitution, des lois sur l’environnement, de l’université, de la carte judiciaire, de la justice des mineurs ; la navette diplomatique en Géorgie, la présidence de l’Europe menée à la hussarde, la crise financière prise à bras-le-corps en jetant par-dessus les moulins tous les dogmes jusque-là révérés… Après Chirac, girafe endormie, nous avons Sarkozy, antilope zigzagante. Ce président mène une action hautement contestable. Au moins a-t-il le mérite de croire qu’elle a des effets, que la décision d’Etat existe, que les élus, en démocratie, ne sont pas seulement des symboles ou des cautions, que le gouvernement peut gouverner. Bref, Sarkozy a le grand mérite de croire en la politique.

Mouvement, donc. [...] Mais pour le reste, il faut se rappeler cette vérité têtue : même quand il pratique l’ouverture, même quand il reprend telle ou telle idée de l’opposition — tactique destinée moins à chercher un juste milieu qu’à déséquilibrer l’adversaire —, Sarkozy est un conservateur. La «rupture» qu’il propose, c’est une restauration. Son style, son audace, ses coups de gueule, ce sont ceux de la droite «décomplexée», même si elle se pare des plumes de l’habileté. Cette droite veut faire reculer l’Etat, restreindre le service public, privatiser la Poste, mettre la télévision publique sous tutelle, faire travailler le dimanche, repousser la retraite à 70 ans, assimiler altermondialisme et terrorisme, mettre les mineurs en prison dès 12 ans, doubler le nombre des expulsions d’étrangers, créer une justice plus répressive, dépenser moins dans l’éducation et plus dans la sécurité.

La crise contraint Nicolas Sarkozy à réhabiliter l’intervention publique ? Certes, on vole au secours des banques et on crée un fonds d’investissement dans l’industrie, remèdes peu libéraux. Mais énorme malentendu. On s’ébaudit du retour de l’Etat entrepreneur. C’est bien la première fois qu’on appelle nationalisation de simples cadeaux aux entreprises ! Au vrai, tout ce qui est fait l’est au bénéfice des banquiers et des industriels, à qui on remet le gouvernail pour sauver le navire. On objectera qu’il faut bien des entreprises pour faire marcher l’économie. Mais rien, ou presque, pour le pouvoir d’achat des salariés, qu’on avait promis de protéger. Et toujours le même raisonnement : ce qui est bon pour Martin Bouygues, Bernard Arnault ou Carlos Ghosn est bon pour la nation. On dépense, on intervient, on subventionne : c’est pour leur sauver la mise.

Pour que rien ne change, il faut que tout change. Nicolas Sarkozy peut dire à ses commettants du capital : je viole vos principes, mais c’est pour votre bien. Il aura été, finalement, le plus intelligent de leurs agents. Le tout dans un style décidément autoritaire. Les médias sous surveillance, le Parlement maîtrisé, la majorité tancée, les ministres menés à la baguette et le Premier ministre changé en exécutant. Sarkozy bouge tout le temps mais, dès qu’il s’agit du pouvoir, il est toujours au centre de la photo. Quant à ses conceptions religieuses ou judiciaires, elles évoquent irrésistiblement l’ancien temps : le curé, l’imam, le rabbin, seuls dispensateurs d’espérance au service de l’ordre ; une justice et une police sans faille, qui accroissent leurs moyens de répression et marchent à coups d’objectifs chiffrés. Et au sommet, un seul homme dans l’Etat.

Ainsi, nous nous dirigeons vers une France nouvelle. Réformée, certes, mais dans le sens de la vieille droite : patrons confortés, finance rétablie, profs mis au pas, fonctionnaires moins nombreux, policiers omniprésents, journalistes encadrés, travailleurs au travail, chômage qu’on impute d’abord au laxisme des subventions et à la paresse des chômeurs. La France bouge, donc. Le plus souvent, c’est pour reculer. Au début du XXIe siècle, on réhabilite le XIXe, celui de la bourgeoisie triomphante et du parti de l’Ordre. Sous ce rapport, le bilan de Nicolas Sarkozy est impressionnant. Mais il va à contresens. La crise exige le retour de l’action collective et la priorité à la justice sociale dans l’épreuve. Tout le contraire de ce que pense la «droite décomplexée». Les choses avancent vite. Mais à l’envers.

(Source : Libération)

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