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L’invité : Guy Tournaye

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A l'occasion de la sortie de son livre Radiation paru chez Gallimard où il aborde la question du travail et de l'assistanat sous un angle tout à fait inhabituel, Guy Tournaye a accepté de répondre à nos questions.

Actuchomage : Selon vous, quelles sont les causes du chômage ?

Guy TOURNAYE : Le chômage n´est pas une fatalité économique, c´est d´abord une construction politique. Au-delà des débats techniques et idéologiques sur les moyens de résoudre le problème du chômage, il faudrait en premier lieu s´interroger sur les présupposés moraux et philosophiques qui fondent une telle construction.
Pourquoi le chômage est-il communément perçu comme un drame, une déchéance, alors que l´inactivité d´un retraité est présentée comme un droit absolu, synonyme de délivrance ? Pourquoi l´emploi stable, continu et à temps plein est-il considéré comme la norme idéale, alors qu´il n´y a pas si longtemps, sous la IIIème République, le principal parti de gouvernement prônait «l´abolition du salariat, synonyme d´esclavage» ? Pourquoi l´intermittence volontaire, revendiquée par les «Sublimes» à la fin du XIXème siècle, est-elle aujourd´hui unanimement réprouvée ? Autant de questions qui impliquent de reconsidérer notre système de représentation du travail dans la société, et que j´ai essayé de traiter, sur le mode de la fable, dans mon livre Radiation.

Actuchomage : Croyez-vous au retour du plein emploi ?

Guy TOURNAYE : Du fait de l´évolution démographique et de la moindre progression de la population active au cours des prochaines décennies, le taux de chômage est appelé à baisser mécaniquement, même avec une croissance molle et un nombre limité de création d´emplois - comme c´est déjà le cas aujourd´hui. Dans ces conditions, l´éventuel retour au plein emploi, même s´il est statistiquement envisageable, ne résoudra aucun problème de fond puisqu´il reviendra grosso modo à remplacer des chômeurs par des retraités. L´enjeu n´est donc pas tant de résorber le chômage que de repenser le rapport entre activité et inactivité.
Comment organiser la solidarité entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas ? Comment permettre à chacun de gérer au mieux son temps de travail et ses périodes d´inactivité ? Là se situe le vrai débat.

Actuchomage : Quel est votre sentiment sur le concept de "la valeur travail" ?

Guy TOURNAYE : La référence incantatoire à la valeur travail est très révélatrice de l´incapacité des politiques à penser la mutation en cours. Avec la mondialisation, la financiarisation de l´économie et l´avènement de la société post-industrielle, le rapport au travail a considérablement évolué au cours des vingt dernières années. Faute d´appréhender cette nouvelle donne, les responsables politiques s´en tiennent à des postures strictement moralisatrices. Le travail n´est plus un enjeu à penser, c´est une vertu à célébrer. Ce laborieux catéchisme relève du reste de la pure mystification. Que signifie "réhabiliter la valeur travail" dans un monde où des entreprises profitables licencient à tour de bras, où l´on compte plusieurs millions de travailleurs pauvres, et où la bourse atteint chaque jour de nouveaux sommets (150% de hausse en quatre ans) ?
Le comble de la tartufferie est atteint avec Sarkozy, qui prétend réhabiliter le travail et le mérite tout en préconisant la suppression des droits de successions - ce qui favorisera de fait les rentiers.

Actuchomage : Quel est votre sentiment sur le concept du "chômeur profiteur et fainéant" ?

Guy TOURNAYE : Le chômage est juridiquement défini comme une inactivité subie. Le système tend ainsi à enfermer le chômeur dans une alternative simple : soit il est une victime et il est indemnisé ; soit il refuse de se poser comme tel et il est déclaré coupable d´attenter à la solidarité nationale. La victimisation du chômeur et la stigmatisation du «profiteur» constituent l´envers et l´endroit d´une même logique coercitive visant à constituer une armée de réserve corvéable à merci. Au fond, ce qu´on attend du chômeur, c´est qu´il intériorise parfaitement son statut de victime, qu´il s´affirme comme un être en souffrance et qu´il se montre prêt à tout pour s´en sortir - en acceptant n´importe quel poste à n´importe quelle condition. Résister à l´idéologie en vogue du travail à n´importe quel prix suppose de sortir de cette vision manichéenne - d´un côté le «vrai» demandeur d´emploi qui souffre, de l´autre le «faux» chômeur qui jouit de sa disponibilité - en permettant à chacun d´organiser librement son emploi du temps.

Actuchomage : Dans votre livre, vous préconisez de "renoncer à la position centrale du travail dans la conscience et l'imaginaire de tous" : que proposez-vous ?

Guy TOURNAYE : Le travail aujourd´hui est au coeur d´un double processus de décentrement. Décentrement dans la sphère économique, où la maximisation des profits est de moins en moins corrélée à la création d´emplois. Décentrement dans la sphère privée, où le travail occupe une place relative de plus en plus faible, à la fois en terme de temps (du fait de l´allongement de l´espérance de vie), de ressources (du fait de l´importance croissante des revenus du capital et des prestations sociales ) et d´investissement personnel. Le défi politique consiste à imaginer de nouveaux outils susceptibles d´articuler ce double mouvement. Cela passe à mes yeux par une approche non pas quantitative («travailler moins pour travailler tous») mais qualitative de façon à permettre à chacun de «travailler autrement». Certains, tel André Gorz - à qui j´ai emprunté la formule "renoncer à la position centrale du travail dans la conscience et l'imaginaire de tous" - préconisent l´instauration d´un revenu minimum d´existence - idée généreuse et séduisante dans son principe, mais qui me semble poser davantage de problèmes qu´elle n´en résoud. Comme je le développe dans Radiation, la piste la plus intéressante selon moi est celle des «droits de tirage sociaux» défendue par Alain Supiot dans "Au-delà de l´emploi" et précisée par Bernard Gazier dans "Tous «Sublimes», Vers un nouveau plein emploi".

Actuchomage : Simone Veil, soutenant Nicolas Sarkozy à Bercy, vient de dénigrer "ceux qui touchent le RMI alors qu'ils n'en ont pas besoin". Qu'est-ce que cela vous inspire ?

Guy TOURNAYE : Les aides sociales sont souvent perçues comme des soins palliatifs réservés aux plus démunis. Tout le problème consiste alors à faire le tri entre les nécessiteux et les autres, ce qui aboutit immanquablement à la mise en oeuvre de dispositifs inquisitoriaux (de type lois Hartz en Allemagne). Pour sortir de cette logique de coercition et de contrôle social, il importe de redéfinir la finalité du système d´assurance chômage et des prestations de type RMI. Le système aujourd´hui repose sur l´idée que l´inactivité est un risque à couvrir, un accident à indemniser, un préjudice ouvrant droit à réparation. Ne pourrait-on pas la considérer comme une opportunité, une transition, une sorte de phase de «recherche et développement» permettant à chacun de construire son parcours professionnel de la façon la plus autonome possible ? Ce serait, me semble-t-il, le meilleur moyen de sortir des fameux (et fumeux) débats sur la «culture de l´assistanat», en faisant des aides sociales non plus une forme d´assistance destinée aux seuls accidentés de la vie, mais un investissement à part entière favorisant la liberté de chacun.

Propos recueillis par Sophie HANCART (via e-mail)

Le site de l'auteur : http://tournaye.blogspot.com/


© Actuchomage – Mai 2007
Mis à jour ( Jeudi, 06 Août 2009 14:33 )  

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