La "fracture sociale" de Chirac, une plaie ouverte

Lundi, 12 Mars 2007 10:32
Imprimer
En 1995, Jacques Chirac dénonçait le creusement en France d'une "fracture sociale", symbolisée par la montée inexorable du chômage. Le thème fera mouche et le portera au pouvoir. Douze ans plus tard, la "fracture" est toujours là : c'est le principal échec des deux mandats chiraquiens.

Quand Jacques Chirac se présente à la présidentielle, la France est déjà confrontée aux répercussions sociales d'un chômage de masse de 11,6%, face auquel le président François Mitterrand avouait avoir "tout essayé" en vain. "La sécurité économique et la certitude du lendemain sont désormais des privilèges", tonne le candidat RPR le 17 février 1995, Porte de Versailles à Paris. "Je n'accepte pas de voir près d'un million de nos compatriotes contraints de vivre du RMI", et "je n'accepte pas de voir l'exclusion de ces cadres approchant la cinquantaine", lance-t-il. Douze ans plus tard, le taux de chômage est, certes, officiellement inférieur à 9% mais le nombre de RMIstes est passé à 1,2 million tandis que le taux d'activité des seniors n'a jamais été aussi bas.

Candidat, Jacques Chirac prônait "un renversement des priorités". "Notre bataille principale a un nom : la lutte contre le chômage. Les remèdes classiques ont fait long feu. Il faut une nouvelle approche, de nouvelles méthodes", estimait-il. Président, sa politique économique et sociale n'a rien eu du grand bouleversement annoncé, sa "nouvelle approche" consistant à diminuer impôts et charges avec un succès mitigé, à créer des zones franches urbaines avec des exonérations fiscales pour les entreprises ou à recourir aux emplois aidés, depuis le "contrat initiative emploi" pour l'emploi des chômeurs de longue durée jusqu'au récent "contrat d'avenir" de Jean-Louis Borloo en 2004.

A lire les statistiques officielles, la France va mieux : le taux de chômage est passé de 11,5% à 8,6%. La pauvreté a diminué puis s'est stabilisée avec 6,9 millions de pauvres en 2004 contre 7,6 millions en 1996, le niveau de vie moyen a augmenté, les inégalités se sont réduites, le taux de réussite au bac a augmenté. Pourtant, les Français interrogés dans les sondages d'opinion sur leur avenir et celui de leurs enfants se montrent en majorité pessimistes. Peut-être parce que "la sécurité économique et la certitude du lendemain" sont plus que jamais "un privilège".
"Les Français ont de bonnes raisons d'être particulièrement inquiets de la précarité de l'emploi", estimaient les économistes Pierre Cahuc et Francis Kramarz dans un rapport du ministère de l'Economie publié en 2004. "En début de vie active, les taux de chômage sont très élevés et la majorité des emplois sont en contrat à durée déterminée. Ensuite, la durée du chômage s'allonge et il devient donc très difficile d'en retrouver un lorsqu'on perd le sien", diagnostiquaient-ils. Et "pour les travailleurs seniors, l'ampleur de ce problème est telle qu'il a semblé préférable de les extraire de l'activité..." Difficultés à se loger, à mener une vie de famille, impact sur la santé ou la sécurité : "La précarité de l'emploi a des conséquences en chaîne sur l'ensemble de la société dont nous commençons seulement à mesurer l'ampleur", ajoutaient-ils.

La "fracture sociale" est d'abord une fracture générationnelle. Car les jeunes sont de loin les plus touchés. Désormais, près de 73% des embauches se font en emplois précaires (CDD, intérim, etc…). Entre un tiers et la moitié seulement de ces CDD seront transformés en emploi stable. Il faut attendre environ l'âge de 33 ans pour que 90% des emplois soient des CDI (contrat à durée indéterminée). Conséquence : si les inégalités de niveau de vie ont nettement baissé chez les plus âgés, les écarts se sont en revanche accrus chez les jeunes.

Globalement, la France a le taux de contrats précaires le plus fort en Europe, à l'exception de l'Espagne. Aujourd'hui, 13,6% des salariés ont un statut précaire contre 7,7% en 1995. Cette tendance lourde s'est, certes, amorcée dès les années 1970, mais Jacques Chirac ne l'a pas enrayée. Désormais le travail ne protège plus de la misère. La France compte 1,3 million de travailleurs pauvres qui, malgré leur emploi, ont un revenu inférieur au seuil de pauvreté (645 € par mois). Et de plus en plus de Français se tournent vers les "Restos du cœur". Lors de leur campagne pour 2005-2006, ils ont distribué 75 millions de repas. En 1995-1996, ils en distribuaient 50 millions.

(Source : Le Nouvel Obs)

Lire aussi :
Articles les plus récents :
Articles les plus anciens :

Mis à jour ( Lundi, 12 Mars 2007 10:32 )