Qui est riche ? Qui est pauvre ?

Dimanche, 07 Janvier 2007 16:45
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A partir de quels revenus doit-on être considéré comme riche, membre de la classe moyenne ou pauvre ? Tout est affaire de repères.

Qui est riche ? Qui est pauvre ? La réponse est évidemment relative dans le temps et dans l’espace. On peut néanmoins s’efforcer de définir des seuils, compte tenu de ce que l’on sait des revenus des uns et des autres.

Commençons par les riches. A partir de quel revenu peut-on se considérer comme «riche» ? Tout dépend à qui l’on se compare. Bien des cadres se pensent membres des «classes moyennes» alors même que leurs salaires les classent parmi les 2% ou 3% des salariés les mieux rémunérés ! La raison en est simple : les écarts sont considérables parmi les couches aisées. Tout en haut, on trouve des dirigeants de grandes entreprises, qui peuvent percevoir avant impôts entre 100 et 400 ans de Smic net. Les stars du sport ou du spectacle ne sont pas en reste : le footballeur Thierry Henry aurait touché l’équivalent de 1.200 ans de Smic en 2006 (1), l’acteur Gérard Depardieu «seulement» 363 ans, quant à Johnny, seuls les Suisses seront désormais capables de le dire… A l’extrême, Liliane Bettencourt a perçu 15.700 ans de Smic en 2005, uniquement en dividendes…
Toutefois, montrer du doigt en France les titulaires de ces revenus exceptionnels, ou celui des «200 familles» (comme on disait dans les années 20) les plus aisées, est trompeur. Car c’est une façon d’éviter de dire que seuls les très riches sont riches («plus riches que riches») et d’omettre les couches aisées, aux revenus élevés sans forcément être exceptionnels. Si le seuil de pauvreté correspond à la moitié du niveau de vie (2) médian (celui qui partage en deux parties égales la population, une moitié dispose de plus et l’autre de moins), on pourrait, de la même manière, considérer que le seuil de richesse équivaut au double de ce niveau médian. C’est-à-dire, en 2004, des revenus disponibles mensuels (3) supérieurs à 2.364 € pour une personne seule, à 4.469 € pour un couple et à 6.080 € pour une famille de deux enfants de moins de 14 ans. A ces niveaux, on appartient aux 10% les plus aisés. De son côté le CERC, le Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale (4), considère comme riches les personnes qui appartiennent aux 10% les plus aisés.

Est-ce beaucoup ou pas beaucoup ? Tout dépend de l’endroit d’où l’on se place. Le cadre célibataire de la Société générale qui se trouve à ce niveau se sent légitiment bien loin de son patron, Daniel Bouton, qui a touché 7,7 millions d’euros de revenus annuels en 2005 (avant impôts), soit 650 ans de Smic. Pour ce cadre, le coût du logement jouera un rôle déterminant : aux conditions du marché actuel, il pourra louer un studio de 25 à 30 mètres carrés dans le 7e arrondissement de Paris ; mais, à Angoulême, il obtiendra un 3-4 pièces de 80 à 90 mètres carrés pour le même prix. Notre cadre parisien qui voudrait une telle surface dans la capitale devra débourser environ 1.800 € chaque mois, lui laissant à peu près l’équivalent du seuil de pauvreté pour vivre… Mais si notre cadre est marié, a deux enfants et qu’il peut atteindre avec les allocations familiales et les revenus de son conjoint un revenu (après impôts) de 6.000 €, soit un niveau de vie un peu supérieur au seuil de richesse, le 80 mètres carrés, même parisien, lui sera accessible sans trop de privations.

Des classes moyennes plus tout à fait moyennes

Au milieu de l’échelle des revenus, on a affaire à une véritable auberge espagnole. Chacun met ce qu’il veut dans les «classes moyennes», en fonction de sa vision de la société… et de son intérêt. Le CERC préfère utiliser le terme de «médians» : il situe cette tranche de population au-dessus des 40% les plus démunis et au-dessous des 40% les plus aisés, soit 20% de la population. Si l’on prend une définition un peu plus large, incluant tous ceux qui se situent au-delà des 30% les plus démunis et en dessous des 30% les plus riches, on rassemble 40% de la population et des revenus qui s’étendent de 980 à 1.300 € pour les personnes seules, de 1.800 à 2.500 € pour les couples, et de 2.500 à 3.400 € pour les familles avec deux enfants en bas âge (5).

Mais dans le langage médiatique habituel, la notion de «couches moyennes» se rapporte plutôt aux ménages dont la personne de référence est médecin, ingénieur ou cadre et dont le conjoint travaille, souvent dans une profession analogue. Ces ménages peuvent ainsi faire partie en réalité du dixième (ou du cinquième) le plus favorisé de la population, avec un revenu disponible par personne supérieur à 3.000 €. C’est ainsi que Louis Chauvel (6), constatant le flou du terme «classes moyennes», souligne que «le même mot tend à définir des groupes sociaux dont le niveau de revenu peut varier du simple au quadruple».
On peut débattre sans fin des limites des catégories moyennes en France. Une partie du problème semble avoir été réglée avec la création de l’expression «classe moyenne supérieure». Un célibataire qui touche 2.500 € de salaire net par mois reste «un représentant de la classe moyenne, certes, mais plutôt supérieure», note Le Nouvel Observateur (7). Louis Chauvel, de son côté, met la barre supérieure à 3.400 € de salaire net, soit juste au niveau des 3% les plus favorisés de la population. Mais, à trop étendre vers le haut les classes moyennes, on finit par justifier la réticence d’une large partie des catégories aisées à se soumettre à l’impôt : si elles restent moyennes, pourquoi en effet leur faudrait-il payer davantage d’impôts et de cotisations que la moyenne ?

Des couches populaires à la pauvreté : un espace étroit

Le niveau de la pauvreté, maintenant. En France, il n’existe pas de réponse «objective» à cette question, mais plusieurs définitions. La plus connue considère que le seuil de pauvreté équivaut à la moitié du niveau de vie médian (par unité de consommation). Comme ce niveau est de 1.314 € mensuels (en 2004, dernière année connue), le seuil de pauvreté est à 657 €. A ce niveau, 3,6 millions de personnes (6,2% de la population) peuvent être considérées comme pauvres. Mais si l’on considère que le seuil de pauvreté équivaut à 60% du revenu médian – c’est généralement le cas dans les études européennes –, ce seuil passe à 788 € par mois. 6,9 millions de personnes sont alors parmi les pauvres (11,7% de la population). Du simple au double, pour une différence de niveaux de vie de 130 €. Ce qui montre que, dans ces bas niveaux de vie, il y a beaucoup de monde.

En euros constants (inflation déduite), le seuil de pauvreté de 2004 est quasiment équivalent au revenu médian de 1970 : les pauvres d’aujourd’hui sont aussi «riches» que les classes moyennes d’il y a trente-cinq ans. Au passage, c’est ce type de comparaison qui conduit les générations plus anciennes, qui ont connu des temps où le pays était moins riche, à relativiser aujourd’hui le phénomène. Reste que la pauvreté étant d’abord une question relative, il est logique de prendre le niveau de vie médian comme base de calcul, ce qui fait que la progression de celui-ci tire le seuil de pauvreté vers le haut : pour que le taux de pauvreté diminue, il faut donc que le niveau de vie des plus pauvres augmente plus vite que le niveau de vie médian. C’est ce qui s’est passé depuis 1996, puisque (en se basant sur un seuil de pauvreté de 60%) la France est passée d’un taux de pauvreté de 13,5% à 11,7%. Même si cela fait encore beaucoup de monde et si la baisse est (trop) faible, elle est indéniable.

Pourquoi alors l’opinion semble-t-elle penser l’inverse ? On peut évoquer deux explications. D’abord, la pauvreté change de visage. Avant, il s’agissait surtout de retraités ; désormais, ce sont de plus en plus des personnes d’âge actif, souvent des jeunes et des chômeurs (le taux de pauvreté est de 32% parmi eux). Il s’agit aussi de familles (monoparentales surtout) : 14,5% des enfants de moins de 18 ans vivent aujourd’hui dans des ménages en situation de pauvreté, un enfant sur sept. Et même une partie des travailleurs n’y échappe pas (1,6 million de personnes en emploi), à cause de temps partiels courts ou de périodes d’emploi insuffisantes dans l’année : il suffit de travailler en moyenne annuelle moins de 25 heures hebdomadaires au Smic pour tomber en dessous du seuil de pauvreté quand on vit seul.
L’autre explication relève des conditions de vie. Car la pauvreté ne se réduit pas à un aspect monétaire. Elle peut être ressentie à cause de conditions de vie difficiles : retards de paiement, restrictions de consommation, difficultés de logement. Chaque trimestre, l’Insee mesure les réponses à 27 questions concernant les difficultés possibles de conditions de vie : en 2004, 8% des ménages n’avaient pas les moyens de se payer des vêtements neufs, 29% ont eu du mal à remplacer des meubles et autant à se payer une semaine de vacances par an, 18% vivaient dans un logement trop petit, 13,6% dans un logement humide, etc. L’an dernier, les Restos du cœur ont distribué 75 millions de repas à 670.000 personnes.

(1) Capital n° 181, octobre 2006.
(2) Niveau de vie : équivalent au revenu disponible divisé par le nombre d’unités de consommation dans le ménage, à savoir 1 «part» pour le premier adulte, 0,5 pour toutes les autres personnes de plus de 14 ans et 0,3 pour les enfants de moins de 14 ans.
(3) Revenu disponible : revenu tiré des déclarations d’impôt sur le revenu, auquel l’Insee ajoute les prestations sociales et en déduit les impôts directs (sur le revenu, taxe d’habitation, etc).
(4) "La France en transition. 1993-2005", novembre 2006 (www.cerc.gouv.fr)
(5) Données effectivement mesurées auprès des ménages et non calculées à partir des unités de consommation. Après impôts et prestations sociales.
(6) "Les classes moyennes à la dérive", par Louis Chauvel, coll. La République des idées, éd. du Seuil, 2006.
(7) «Les paradoxes des classes moyennes supérieures», Le Nouvel Observateur, 7 décembre 2006.

(Source : Alternatives Economiques)

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Mis à jour ( Dimanche, 07 Janvier 2007 16:45 )