Des salariés sous haute surveillance

Mercredi, 24 Mai 2006 11:33
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Aegis étale sa paranoïa au tribunal de Nanterre. Des dirigeants de la société jugés pour avoir fouillé les ordinateurs de leurs collaborateurs.

Le monde de la communication, d'ordinaire si frais et urbain, peut parfois se révéler cruel. «C'est Dallas tous les jours, à la Défense, ironise Olivier Fourmy, le président de la 17e chambre. Un monde impitoyable.» Le tribunal correctionnel de Nanterre jugeait, lundi, plusieurs dirigeants de la société Aegis Media France, cador de l'achat d'espaces publicitaires, accusés par un ancien salarié, Georges Chryssostalis, de s'être introduits dans ses courriels et d'avoir visité et copié les ordinateurs d'une vingtaine de collaborateurs. Ce qui vaut à Eléonore Sauerwein, directrice juridique d'Aegis, Laurent George, directeur général, et Guy Gauthé, secrétaire général, d'être poursuivis, selon Nicolas Brault, l'avocat de la partie civile, pour «atteinte au secret des correspondances», «traitement automatisé privé d'informations nominatives sans déclaration préalable à la CNIL» et «accès frauduleux dans un système de traitement automatisé de données».

Durcissement. Flash-back : en décembre 2003, deux dirigeants d'Aegis Media quittent le navire. Et fondent une société concurrente, KR Média. Le chiffre d'affaires d'Aegis plonge. «Nous avions des clients à 500 millions d'euros qui quittaient le groupe de façon inexpliquée», explique Eléonore Sauerwein. Le jeu se durcit. Georges Chryssostalis, réputé proche des deux partants, raconte : «A partir de juin 2004, je m'aperçois que ma boîte e-mail est directement connectée à celle de Mme Sauerwein, et qu'elle a accès à mes mails de façon instantanée.» L'ex-directeur informatique d'Aegis, licencié depuis pour «faute grave», confirme : «En juin 2004, Mme Sauerwein m'a demandé de contrôler la boîte mail de Chryssostalis afin de voir s'il ne communiquait pas avec les concurrents.» Et d'évoquer un «climat de paranoïa spectaculaire. On en était à mettre des pièces de deux centimes d'euros sur les tiroirs pour voir s'ils avaient été ouverts pendant la nuit...»

Contre-attaque. Egalement examinées par le tribunal, les deux «descentes», selon plusieurs salariés, nuitamment organisées en octobre 2004 dans les ordinateurs d'une vingtaine de salariés chez Aegis. Venu, ces soirs-là, accompagner dans leurs «perquisitions» les experts d'une société informatique extérieure, en présence de deux huissiers et d'un avocat, un administrateur système chez Aegis témoigne : «La deuxième fois, j'ai fini à trois heures du matin. En en parlant à ma femme, j'ai trouvé que c'était bizarre.» De l'opération, l'informaticien a gardé un «souvenir très désagréable. Le contenu d'une boîte aux lettres, c'est le contenu d'une personne...». Et la partie civile de s'interroger : «A-t-on le droit, parce qu'on est le dirigeant d'une société et qu'on est chez soi, d'entrer, la nuit, dans le disque dur des salariés ?» se demande Me Nicolas Brault, qui évoque des «mesures de surveillance injustifiables». Contre-attaque de la directrice juridique : «J'ai été moi-même victime à plusieurs reprises d'intrusions dans mon disque dur et ma boîte e-mail, avec des données sensibles comme mon numéro de compte en banque et l'école de mon fils.» Des faits pour lesquels la société a, à son tour, porté plainte, avec ouverture d'une information judiciaire. Ambiance. Jugement le 26 juin.

(Source : Libération)

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Mis à jour ( Mercredi, 24 Mai 2006 11:33 )