La révolte des soutiers de la vente

Mardi, 11 Avril 2006 15:40
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Travail illégal. La société Haute Fidélité employait des centaines d’animateurs-vendeurs dans les grandes surfaces, sans verser leurs cotisations à l’URSSAF.

«Ils ont voulu profiter de la faiblesse des précaires pour les surexploiter, ils pensaient qu’ils n’oseraient jamais se défendre. Maintenant nous les attaquons au pénal. Nous allons leur montrer que des fourmis peuvent se battre comme des lions.» Ancien cadre de Haute Fidélité, une société recrutant des animateurs-vendeurs en grandes surfaces, Fouad Qendil a claqué la porte il y a un an. Il dénonce le "plan Barracuda" de son patron Renaud Mabileau, consistant à ne pas déclarer une partie des salariés pour augmenter ses marges.

«Je suis entré à Haute Fidélité en septembre 1996. Cette société basée à Paris fonctionne comme une boîte d’intérim pour des grandes marques du domaine audiovisuel comme Casio, Canon, Club-Internet, etc. Elle leur fournit des salariés qui vont les représenter dans des grandes surfaces comme Carrefour, Auchan, la Fnac, Géant Casino, dans toute la France. Il y a trois sortes d’activités. Le salarié peut faire des animations-ventes de produits dans les rayons des magasins. Ou bien il fait du "merchandising" : il passe dans les grandes surfaces pour installer de la publicité ou former les vendeurs à un nouveau produit. Ou bien il est carrément représentant régional de la marque, toujours auprès des grandes surfaces.
Je travaille d’abord comme animateur, puis je deviens responsable régional Rhône-Alpes - Centre. Je suis basé à Annecy, j’organise les plannings d’environ 600 salariés. Même comme cadre, j’enchaîne des CDD d’un mois pendant un an, avant d’être embauché en CDI ! Là, la magouille commence. Haute Fidélité me paye 1.500 euros net, plus 1.300 euros en remboursement de frais kilométriques, qu’en réalité je n’effectue pas. Autrement dit, la moitié de mon salaire est au noir. Les autres cadres sont payés de la même façon.»

Des CDD d’un jour ou deux

Pour les salariés, c’est l’emploi en miettes. Les animateurs travaillent surtout les week-ends, en CDD d’un jour ou deux. S’ils travaillent un mois d’affilée, la direction fait quatre CDD d’une semaine, voire un CDD par jour ! Comme ça, pas d’ancienneté à payer, et puis elle peut les virer tout de suite en cas de problème. Elle ne verse pas la prime de précarité, ni les congés payés, ni les heures supplémentaires. Les journées de formation à Paris ne sont pas payées. Si quelqu’un réclame, il est aussitôt écarté. Au total, un animateur peut gagner entre 300 euros par mois et 1.500 pour les mois chargés, avant les fêtes. Mais sur l’année, il est bien en dessous du SMIC.
Les représentants ont des contrats plus longs, de six mois ou un an, payés en partie au noir. Ensuite, Haute Fidélité se débarrasse d’eux pour ne pas avoir à les embaucher en CDI. Tout le système fonctionne sur la fragilité des salariés. Haute Fidélité sait bien que ce sont des étudiants qui ont besoin d’argent, des chômeurs, des femmes seules avec enfants, des érémistes, des personnes d’origine étrangère. Bref, des gens qui ne trouvent rien d’autre pour vivre et qui ne vont pas réclamer. Un sous-prolétariat interchangeable, jetable à l’infini.

Faire payer les précaires

«En octobre 2003, le PDG, Renaud Mabileau, convoque tous les cadres de l’entreprise, et nous dit : "Le fisc me redresse, ils me font chier, ils veulent que je paye. Mais j’ai un plan, ça s’appelle le plan Barracuda. Le barracuda a toujours faim. J’ai pas envie de payer, on va faire payer les précaires. On ne va plus les déclarer, ce qui va dégager 30% de marge pour payer le fisc." Il nous demande de dresser des listes de salariés "à sacrifier", les personnes les plus fragilisées qui sont prêtes à tout accepter, qu’on pourra payer d’un simple chèque. À partir de là, les magouilles s’accélèrent. Quelqu’un qui travaille cinq jours est payé pour un jour, le reste est versé en faux frais kilométriques. Les salariés attendent un, deux ou trois mois avant d’être payés, Haute Fidélité prétexte des problèmes avec La Poste, des pannes informatiques. Ils sont obligés de mendier leur salaire et ne peuvent pas toucher les ASSEDIC car la société ne leur remet pas les attestations de fin de contrat. Parfois ils travaillent sans contrat, parfois ils n’ont pas de feuille de paye. Les cadres qui jouent le jeu ont des primes allant jusqu’à 4.000 euros par mois.

En février 2005, Mabileau nous convoque de nouveau et nous annonce son plan "Monte Cassino". Il reproche à quatre cadres, dont moi, de ne pas assez collaborer. Il licencie sur-le-champ le responsable national qui s’oppose à lui. Dans la foulée, deux cadres régionaux sont virés. Moi, je pars en arrêt maladie pour dépression. Pendant plusieurs mois, Haute Fidélité me harcèle, me pousse à démissionner.
Je me décide enfin à aller voir l’inspecteur du travail. Je lui raconte toute l’affaire, il n’en croit pas ses oreilles.

Inconnus à l’URSSAF

Il effectue un premier contrôle sur René, un salarié de Haute Fidélité travaillant pour Sony au Carrefour d’Annecy. L’URSSAF confirme qu’il n’a jamais été déclaré. Nous découvrons alors que Haute Fidélité n’avait pas déclaré la plupart de ses salariés, même avant le plan Barracuda ! Quand elles existaient, les feuilles de paye étaient bidon ! Sur la France entière, environ 8.800 personnes peuvent être concernées. Sans le savoir, elles ont travaillé sans être couvertes, sans cotiser.
Nous alertons le plus de salariés possible. Les réactions et témoignages affluent. Deux salariés avaient eu des accidents de voiture dans le cadre du travail, Haute Fidélité leur avait dit de se débrouiller avec leur assurance. Un autre s’était renseigné un jour sur ses points auprès de sa caisse de retraite. On lui avait répondu qu’il n’existait pas ! Il avait continué à travailler car Haute Fidélité était sa seule ressource.

Aujourd’hui, l’URSSAF et le fisc enquêtent, tout comme l’inspection du travail, qui va transmettre un procès-verbal au parquet de Paris.
Renaud Mabileau disait toujours qu’il s’en foutait de l’URSSAF. Comme il détruisait régulièrement les documents concernant les salariés, les contrôleurs ne pouvaient rien voir et se contentaient de lui mettre une amende de 8.000 euros, une broutille pour lui. Maintenant, il pleure ! Avec plusieurs anciens salariés de Haute Fidélité, nous avons monté en février un collectif (1). La semaine dernière, cinquante précaires sont venus à notre première réunion à Lyon. Nous allons attaquer au pénal non seulement Haute Fidélité, mais aussi les grandes marques qui ont eu recours à elle. Car vu le prix qu’elles payaient pour la prestation, elles ne pouvaient ignorer qu’il y avait du travail illégal et que les droits des salariés n’étaient pas respectés. On peut même dire qu’elles payaient Haute Fidélité pour prendre ce risque ! Nous attaquerons aussi les grandes surfaces car elles profitaient de ce système qui vivait sur la misère et précarisait encore plus les précaires.»

(1) Site Internet de l’Association de défense des droits des salariés précarisés : http://addsp.ifrance.com

Propos recueillis par Fanny Doumayrou pour L'Humanité

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