Pauvreté : L’argent des pauvres/Deux générations dans la débineEn 1985, deux sociologues français, Jean-François Laé et Numa Murard, avaient publié dans
L’argent des pauvres le récit de leur enquête dans une cité populaire d’Elbeuf, en Normandie, qui visait à décrire les ressorts d’une pauvreté qu’on s’attachait alors encore à décrire comme résiduelle, un reliquat de misère hérité du passé, que la prochaine reprise de la croissance allait effacer. Contre l’image misérabiliste véhiculée par les associations charitables, les deux sociologues décrivaient une expérience de la condition ouvrière qui restait vivace et continuait de produire du collectif, malgré les effets de la pauvreté monétaire sur l’organisation du temps, sur la consommation et la sociabilité.
Trente ans plus tard, Laé et Murard sont retournés sur leur «terrain», ils ont refait l’enquête et viennent d’en publier le résultat dans un nouvel ouvrage intitulé
Deux générations dans la débine. Ils en ont fait aussi un documentaire pour
France Culture à écouter ici :
http://www.franceculture.fr/emission-su ... uvriere-iihttp://www.franceculture.fr/emission-su ... %E2%80%93- (peut-être à écouter en premier)Le constat est sans appel. Malgré le revenu minimum, les allocations, le travail des associations, la scolarisation massive, l’optimisme des années 1980 a été démenti : la pauvreté est toujours là, mais aujourd’hui elle atomise les pauvres. C’est en partie le résultat de ce que les deux sociologues appellent la «machine à laver les pauvres» : tous les dix ans, leur mobilité résidentielle est forcée par des politiques du logement qui détruisent les cités, déplacent les familles, dispersent les voisinages. L’affiliation à la classe ouvrière a volé en éclat, et ceux qui s’en sortent un peu mieux stigmatisent les fautes morales supposées de ceux qui ne s’en sortent pas ou ne «savent pas se priver».
Si, depuis une vingtaine d’années, la pauvreté a peut-être reculé «en moyenne», les inégalités entre les pauvres et les riches se sont indéniablement creusées et la stigmatisation de la pauvreté a progressé dans toutes les couches de la société, même et peut-être surtout dans celles qui en sont les moins protégées : l’enquête qui nous l’apprend n’est pas inédite — mais c’est ce qui en fait tout l’intérêt.