Le temps «libre» du chômeur

Vendredi, 23 Juin 2006 16:58
Imprimer

Aux yeux de tous, le chômage est considéré comme une maladie honteuse. Le temps qu'il nous impose est la première remise en question : comment l'occuper en dehors de sa recherche d'emploi ?

Ensuite, ce temps peu à peu réapproprié incite inévitablement à nous interroger sur la définition, la valeur et l'utilité mêmes du travail.

Il ne peut y avoir de critique du chômage sans que cela débouche sur une critique du travail et, par extension, sur une réflexion sur le temps telle qu'elle avait été amorcée par ces grands visionnaires que furent Raoul Vaneigem et Guy Debord (entre autres).
Cette histoire de chômage incite à penser plus haut que de réclamer du travail ou autre foutaise. Du travail il n'y en a plus, c'est une espèce en voie de disparition - lire Jeremy Rifkin - et je ne vois pas trop l'intérêt de créer des "réserves naturelles" de fonctionnaires comme il y a des réserves d'indiens aux USA.

En effet, la course à la transformation du sur-travail en non-travail par les améliorations techniques ou gestionnaires de la production fit que :
1. un nombre devenu dérisoire de producteurs suffit à la production
2. la spécialisation devient non plus régionale mais planétaire même, si certains feignent d'ignorer que la mondialisation de date pas d'hier et qu'elle remonte à l'époque où la machine à vapeur a permis aux bateaux de ne plus dépendre des "vents du commerce" (trade winds, autrement dit les alizés)

Ce temps libéré qui aurait dû faire le bonheur de l'humanité ne le fit pas. Non seulement l'idéologie religieuse sado-masochiste du christianisme fustigea les "fainéants" puique 'l'oisiveté était la mère de tous les vices", mais les chômeurs furent privés de toute reconnaissance sociale pour ne devenir plus qu'une caste digne des intouchables, à ceci près qu'elle n'est pas tout à fait héréditaire.
"Nous n'avons rien à nous que le temps,
dont jouissent ceux mêmes qui n'ont point de demeure.
"
Balthasar Gracian (L'Homme de cour)

Ce temps "libre" des chômeurs est bien dérangeant. Car "la liberté est le crime qui contient tous les crimes, c'est notre arme absolue". Comment est-il perçu ?

L'absolue domination du temps par le productivisme spectaculaire ne peut concevoir le temps libre que comme marchandise séparée. Le temps n'est que de consommation et non de vie ("La paresse" de Paul Lafargue). Un prolétaire est "en vacances", un chômeur non : il doit avoir honte de son temps libre au point que certains s'autopersuadent que la "recherche de travail" est un "travail comme un autre".

Une ouvrière de la SNECMA me disait jadis : "Qu'est-ce que vous allez faire toute la journée au chômage, vous allez vous ennuyer ?" A mettre aussi en parallèle avec les réactions désolées de ceux qui, lorsqu'on annonce qu'on est au chômage, considèrent presque qu'on est sidaïque au dernier lymphocite T4 par mm3. Faut qu'on les rassure en expliquant qu'à part la trésorerie effectivement misérable, on dispose d'une chose que nous envient les cadres surmenés : DU TEMPS !

Donc, quel devrait être l'activité militante d'une organisation de chômeurs ? Pleurer après le retour du "plein emploi" salarié ? Un épiphénomène qui n'a même pas duré 40 ans dans sa généralisation, et qui est à comparer avec les 3.000 ans d'activités économiques recensées sur le territoire France ! Se faire embaucher chez Pénélope SA ? J'imagine bien ce genre d'emploi "aidé" : une équipe de tricoteuses le jour et de détricoteuses la nuit selon l'aphorisme "faire et défaire, c'est toujours travailler".

Ou bien entamer une réflexion critique sur le temps, son emploi et son partage (on ne parle donc plus de travail). Et que faisons-nous nous-même de ce temps ? Je vous incite à lire
Cette réflexion sur le temps est donc la question centrale.

Mis à jour ( Vendredi, 13 Décembre 2019 20:11 )