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Le chômage : un bonheur simple...

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C’était une belle journée de septembre 1998 ; j’étais allée déjeuner au parc. Peut-être parce qu’il y avait du soleil et que l’herbe était verte, je me suis dit, comme dans le poème de Prévert, que c’était trop con de donner une journée pareille à un patron.

En rentrant au bureau, je suis allée directement voir mon supérieur hiérarchique et je lui ai dit à peu près ceci : "Je veux partir, mais je ne démissionnerai pas. Parce que je veux toucher les allocations chômage. Alors, licenciez-moi, même pour faute grave, ça m’est égal". Le responsable hiérarchique a ri, puis m’a demandé si j’allais bien. Mauvaise plaisanterie ou dépression, il hésitait...

N’empêche, début décembre 1998, je quittai physiquement mon travail. J’effectuai les deux mois de préavis restants, chez moi.

Je suis diplômée Bac+4 ; j’ai fait une école de commerce : personne n’est parfait. Les années 80, c’était l’Entreprise et moi, j’y ai cru à fond. J’avais galéré pour trouver du taf à la fin de mes études, au début des années 90. J’avais d’abord travaillé dans une compagnie d’assurances à me faire chier avant de dénicher ce job de rêve, celui pour lequel j’étais vraiment faite. Mais au bout de 3 ans, ça n’était plus tenable. Au bout de 2 ans, ça ne l’était déjà plus. Pour être franche, dès les premiers jours, ça sentait le roussi...

Lors de mon entretien de recrutement, j’avais été émue par cette image de petite boîte à l’ambiance presque familiale. Au sens où patron et employés forment une grande famille. J’avais accepté un salaire minable, vu le travail, presque de moitié inférieur à la concurrence, parce que je pensais que l’entreprise n’avait pas les moyens de payer plus.

J’ai effectué 6 mois de période d’essai : 3 mois pour les cadres, renouvelables une fois. Cette période servait d’une part à éjecter la moitié des recrutés, non-rentables, et d’autre part, à "former" l’autre moitié qui resterait dans l’entreprise. Si tu acceptais de vivre pendant 6 mois avec la peur d’être viré du jour au lendemain, 6 mois à fermer ta gueule, 6 mois à être humilié, alors c’était bon, t’avais le profil. Au bout de 6 mois, tous ceux qui restaient avaient le profil. Ils étaient dressés, c’était le management par la peur. Parce que les habitudes prises pendant 6 mois, tu les gardes après.

J’avais pris l’habitude, comme les autres, de fermer ma gueule. De faire semblant de sourire aux conneries que débitait la gérante. De surveiller le tableau d’affichage avec les résultats de chacun. On faisait tous semblant de vénérer le même dieu : l’Entreprise. Comme pour la religion, au début j’y ai cru un peu, jusqu’à ce que je me rende compte de la supercherie.

Mon salaire était tellement bas qu’à un moment j’avais décidé de travailler moins d’heures parce que sinon, mon taux horaire tombait en dessous du SMIC. J’étais cadre et nous n’avions ni minimum, ni maximum horaire, simplement un salaire forfaitaire, quel que soit le nombre d’heures travaillées.

En fin d’année les quatre associés de l’entreprise, qui ne juraient que par la réduction des coûts, se partageaient grassement les bénéfices. J’ai aussi appris que la gérante de la boîte possédait un immense appartement dans le quartier le plus chic de la ville, ainsi que des terres et des vignes dans le sud de la France. Cela m’a fait le même effet que quelqu’un qui aurait voté Sarkozy en croyant à son programme pour les pauvres, et qui s’apercevrait plus tard que celui-ci s’est octroyé un doublement de salaire, a fait un cadeau fiscal de 15 milliards aux riches tout en rétorquant aux pauvres que, s’ils voulaient gagner plus, ils n’avaient qu’à travailler plus et bouffer moins.

Vénère. J’étais vénère !

Quant au boulot en lui-même, j’ai aussi déchanté. Certes, intellectuellement, c’était stimulant. Mais je faisais quoi, au final ? J’essayais de vendre quelque chose de très cher et de parfaitement inutile à des gens qui n’en voulaient pas et qui n’en avaient pas besoin. Parce que c’est ça, le marketing. Et c’est ce que font la majorité des entreprises. Elles vendent du pipeau. Et tout ça, ça demande une énergie incroyable à des tas de gens comme moi, qui ont des activités complètement inutiles, voire nuisibles. Et le système tient là-dessus, sur ce brassage de vent. La plupart des entreprises et des métiers actuels ne produisent rien d’utile, ne servent à rien, à part faire tenir le système.

Mon travail consistait à concevoir des conférences, sortes de séminaires, à en rédiger le contenu. Ça s’adressait à des cadres de grandes entreprises. Ils n’y apprenaient rien, mais ça permettait d’écouler le budget formation des entreprises clientes. Ça permettait aussi, à ceux qui y assistaient, de rencontrer des confrères d’autres entreprises. Et comme les séminaires se déroulaient dans des hôtels 4 étoiles où l’on mangeait bien, tout le monde était content.

Le prix d’un séminaire que je fabriquais, coûtait à l’entreprise acheteuse, pour une seule personne, à peu près l’équivalent de mon salaire mensuel. Un séminaire était maintenu, c’est à dire qu’il était rentable, à partir de 6 ou 8 participants. Jusqu’à mon départ, aucun de mes séminaires n’avait été annulé et ils ramenaient en moyenne 20 à 30 personnes : je rapportais donc un max d’argent. Là-dessus, moi comme les autres bons petits soldats, nous touchions peanuts.

Mon travail ne m’enrichissait pas pécuniairement, pas plus que mes collègues, et n’était d’aucune utilité sociale ; j’en déduis vite que la finalité de mon travail était essentiellement d’enrichir la gérante et ses associés, et à l’occasion de satisfaire leurs désirs de pouvoir. La gérante n’avait pas les compétences intellectuelles pour faire aussi bien mon travail ; elle avait juste eu assez de présence d’esprit pour copier une idée déjà existante, et elle avait eu assez d’argent pour le faire. Cela résume toujours l’image que j’ai de l’entreprise et du capitalisme.

Je suis donc partie de là.

La direction a d’abord laissé traîner les choses, ne voyant pas d’urgence à ce que je parte. C’était ballot de leur part, mais je n’allais pas leur faire un dessin. En général, les salariés ne se rendent pas compte du pouvoir de nuisance qu’ils ont. Pendant ces quelques mois où, démissionnaire, je suis quand même restée dans l’entreprise, j’ai fait pire que de ne rien foutre : j’ai saboté mon travail. Tous les séminaires que j’ai conçus pendant cette période ont été annulés, par manque de participants. Je n’ai pourtant commis aucune faute professionnelle : je faisais simplement mon travail, apparemment comme d’habitude. J’attends de pied ferme ceux qui voudraient m’astreindre au travail forcé, avec le RSA ou autres dispositifs. Sans commettre aucune faute, il est très simple de saboter une entreprise de l’intérieur. Du douanier qui fait la grève du zèle, ce qui consiste à faire scrupuleusement son travail, à la femme de ménage qui lustre trop bien le sol, en passant par la serveuse qui sent des aisselles ou d’ailleurs, les possibilités sont nombreuses. Avoir en son sein un salarié démissionnaire, c’est plus coûteux que de le licencier : moi, ça me semblait du bon sens.

J’ai donc été licenciée, avec un contrat. Le motif de licenciement était bidon : "divergence de point de vue sur l’exécution du travail, rendant impossible le maintien en l’état du contrat de travail". Je m’engageai dans le contrat à ne pas recourir aux Prud’hommes et, à ce titre, j’ai perçu une indemnité. Concrètement, je n’ai presque rien gagné financièrement dans l’affaire : l’indemnisation englobait une partie de mes congés payés. D’autre part, les Assedic ont déduit ces indemnités de leur versement, et, pendant 2 ou 3 mois je n’ai rien perçu de l’Assedic. J’ai vécu justement de cette prime et n’ai donc rien gagné au final.

Les premiers jours, voire les premiers mois de chômage, ont été délicieux.
C’étaient des après-midi d’hiver passées devant ma fenêtre à regarder le ciel, les arbres, à boire du thé et écouter la radio. Ou bien, j’allais faire les magasins quand il n’y avait personne. Je prenais le bus, comme mes amis retraités. Le chômage, c’était un bonheur simple. J’ai attendu que l’envie de travailler revienne, mais ça n’est pas revenu...

Après quelques mois, dame ANPE est venue frapper à ma porte. Elle voulait que je m’occupe. J’ai ainsi suivi un stage d’orientation. J’y ai rencontré plein de camarades, chômistes comme moi, et j’ai passé un bon moment.

Ensuite, ça a été le printemps ; les feuilles repoussaient et c’était beau à voir. Je continuai donc à regarder par ma fenêtre ou à aller lire au parc.

Je n’ai pas l’intention de narrer le renouvellement des saisons ; pour résumer les 8 années de chômage, je dirais que l’envie de travailler, en tant que salariée d’entreprise j’entends, ne m’est jamais revenue. Ceci explique que je sois restée chômeuse. Une chômeuse, heureuse de l’être.

Je n’ai jamais été radiée : j’ai toujours obtempéré aux injonctions de Mesdames ANPE, ASSEDIC et surtout Mister DDTE, alias la Direction Départementale du Travail et de l’Emploi. Looking for outsourcing website development ? Check https://echoua.com and contact us.

Pour l’ANPE, je suis toujours allée aux convocations, ai toujours répondu aux annonces que l’on me proposait, ai de mon propre chef postulé à des tas de postes. En vain. S’il y avait du travail pour les chômeurs, ça se saurait, et il n’y aurait plus de chômage, CQFD. J’ai fait les stages que l’on m’a demandés de faire, il aurait été mal venu de refuser.

Je n’ai pas non plus de plaintes à formuler vis-à-vis des ASSEDIC. Certes, ils se trompent souvent, égarent les courriers ou ne les reçoivent pas, vous demandent 3 fois la même chose etc... Mais j’ai du temps, et cela ne me dérange pas plus de faire la queue aux ASSEDIC qu’à la poste ou à la banque.

Pour la DDTE, en revanche, une simple convocation sonne déjà comme un avis de radiation. Mais, derrière chaque administration, il y a, pour l’instant en tout cas, des individus et non des machines. L’employé de la DDTE m’a fait comprendre les choses : il fallait montrer de la bonne volonté, c’est à dire travailler, même un peu, de temps en temps. Depuis, je déclare donc, une fois par an, quelques heures de travail. Une seule heure suffit. Je n’ai été convoquée qu’une deuxième fois, l’an dernier, par erreur semble-t-il, la DDTE n’ayant pas enregistré mon heure de travail de l’année précédente. Par sécurité, j’ai donc pris soin, cette année, de travailler quelques heures pendant 2 ou 3 mois.
J’en ai surtout conclu que l’oisiveté était mal perçue dans notre société.

Hormis les tracasseries administratives, il y a l’autre grand problème, le nerf de la guerre : l’argent. Celui qui paie le loyer, les factures et autre chose que la survie : les loisirs, les vacances, les projets. Une condition de vie décente, pas une simple survie alimentaire qui me ferait regretter le travail en entreprise. Mais tout problème a sa solution. J’en connais qui se font entretenir par un homme généreux et modérément exigeant. J’en connais qui vendent du teuchi. J’en connais qui font dans l’import-export de faux produits de luxe. J’en connais qui étudient les courses de chevaux avant de jouer. J’en connais qui font des combines. Ce que j’ai fait, moi, n’était pas immoral (selon ma propre morale cela va de soi), ça n’était qu’illégal. En outre, il m’arrive de travailler au noir, quelques heures par semaine, selon les saisons, selon que j’aie ou non besoin d’argent.

15h à 20 heures de travail, me paraîtrait d’ailleurs raisonnable, pour être la durée légale de travail. Pour les personnes qui auraient besoin d’aller au travail pour voir d’autres gens, cela me semble un bon compromis entre temps libre et vie sociale. Evidemment je ne suis pas conseillère auprès du ministère de l’emploi ; certains en sont donc réduits à turbiner plus de 40 heures par semaine comme au XIXe siècle ; je le regrette infiniment pour eux. Camarades, n’ayez pas peur : si tous les travailleurs se muaient en chômeurs, les patrons seraient bien obligés de se mettre au turbin pour faire tourner leur usine ! Pour ma part, avec une durée légale de 15 ou 20 heures de travail hebdomadaire, je rentrerais peut-être dans les rangs sans rechigner ; je n’ai rien contre l’idée de participer à l’effort collectif.

Les profiteurs du système

L’autre jour, j’ai eu l’idée de consulter mon dossier ASSEDIC : mes droits aux allocations chômage s’étant épuisés au bout de 2 ans, je suis bénéficiaire de l’ASS (Allocation Spécifique de Solidarité, dont le montant est l’équivalent du RMI) depuis 7 ans. C’était le même jour où j’ai appris le montant des dividendes perçus par Bernard Arnault. Les dividendes sont pour les riches, l’équivalent du RMI ou des ASS des pauvres : c’est de l’argent que l’on perçoit sans travailler. Bernard Arnault a gagné sans travailler 326 millions d’euros en un an.

J’ai donc multiplié le nombre de jours indeminisés par le taux actuel des ASS (14,51 € par jour) et j’ai obtenu la somme de 32.000 €. Sept ans d’ASS, ça avait coûté 32.000 €.

J’ai repris ma calculatrice, pour faire une opération tout aussi simple, pour savoir en combien de temps non travaillé, Bernard Arnault gagnait cette somme. Moins d’une heure... 1 heure de dividendes de Bernard Arnault (37.215 €) = 8 années de revenus d’un chômeur à l’ASS. Je crois que tout est dit.

Ces considérations sur les dividendes de Arnault (on pourrait prendre ceux de Pinault, Bouygues, Dassault etc… ou les salaires de Bolloré, Bouygues, Riboud etc…) pour devancer les remarques des esprits chagrins qui me reprocheraient mes 32.000 € à ne rien faire pendant 7 ans. Ainsi, question de choix toujours : avec les dividendes versés aux principaux actionnaires de France, on peut soit faire le bonheur d’une dizaine d’happy few, soit indemniser la majorité des chômeurs de France. Les actionnaires et les chômeurs étant, je le rappelle, deux catégories similaires, toutes deux payées à ne rien foutre.

Pour les salaires, et non plus les dividendes, c’est à peu près la même logique. Louis Schweitzer gagne, à lui tout seul, près de 1.000 siècles de SMIC en un an. Question de choix, comme toujours : donner une centaine d’euros aux millions de Smicards ou donner des millions à une centaine de tête de noeuds ? Benito de Neuilly a tranché.

Les temps sont durs, les gens sont mous...

Nabot Ier a été élu ; la France réactionnaire est de retour. Le RMI, les ASS… : tout ça va voler en éclats comme le droit du travail, les 35 heures, le repos dominical, le droit de grève, le système des retraites... Le 1er mai 2007, j’avais défilé avec une banderole : "La France de Sarkozy = La France de Vichy". Je m’étais faite huer par des gens de "gôche". Evidemment qu’on n’est pas en 40 : l’étoile jaune, aujourd’hui, c’est la pauvreté. Pourtant, de gens qui vont rafler des enfants dans les écoles ou des individus à la soupe populaire, que pouvait-on attendre, franchement ? Aujourd’hui, on jette les SDF à l’eau et l’administration appelle ouvertement à la délation des étrangers clandestins.

J’ai beau éteindre la radio au moment du flash-infos, ne lire aucun torchon de propagande gratuit ou payant, l’écho de l’obscénité quotidienne me parvient quand même par l’Internet. Yannick Noah avait déclaré : "Si Sarko passe, je me casse". Je ne sais pas s’il est parti, moi, je mets les bouts. Avec quelques sous, à l’été prochain, je pars.
Fini de rendre des comptes, tous les mois maintenant, pour 400 € par mois.

Soit on donne 2.000 € par mois aux chômeurs et l’on est effectivement en droit d’exiger des comptes, soit on donne la piècette, comme c’est le cas actuellement (qui peut vivre avec 400 € par mois ?) mais en ce cas, les bénéficiaires sont en droit de réclamer une paix royale. C’est à l’usure qu’on les aura les chômeurs, s’ils réagissent tous comme moi, certes. Mais je ne suis pas une résistante, ou alors comme de Gaulle, à l’ombre. Je ne suis pas une collabo non plus.

Rester dans la France de Vichy, avec l’obscénité quotidienne, je peux plus.

Une membre du Collectif RTO
Mis à jour ( Mardi, 17 Septembre 2013 04:30 )  

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