Chômage, Austérité, Europe, tiercé gagnant du FN

Mercredi, 12 Février 2014 13:11
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Le parti de Marine Le Pen peut aujourd’hui abandonner ses vieilles obsessions. L’Europe lui fournit quantité d’autres arguments… plus fédérateurs. Article rédigé en février 2014.

À en croire les médias, le FN a le vent en poupe. Un récent sondage atteste que plus de 30% des Français adhèrent à ses idées (cet article a été rédigé en février 2014, avant les élections municipales).

La «vague brune», comme la surnomme ses opposants les plus farouches, serait en formation au large des rivages électoraux et s’apprêterait à tout balayer sur son passage.

Ce discours n’est pas nouveau. La vague lepéniste a souvent menacé de déferler sur la France. Fut un temps où elle fit une entrée triomphale à l’Assemblée Nationale, avec 35 députés (sous la mandature de Mitterrand). En d’autres temps plus proches, Jean-Marie Le Pen se hissait au second tour d’une élection présidentielle, provoquant le séisme qu’on connaît.

La menace Front National plane depuis des décennies maintenant, avec ses hauts et ses bas, ses succès et ses échecs. Tous les pouvoirs qui se sont succédé en ont joué. De Mitterrand qui glissa le caillou FN dans les godillots du RPR, à Sarkozy qui «siphonna» avec succès son électorat en 2007, mais s’y cassa les dents en 2012.

Le FN a toujours été l’allier du pouvoir en place. Sous la Gauche, il affaiblit la Droite. Sous la Droite, il constitue un réservoir d’électeurs qu'on appate avec des discours sur l’identité nationale ou la promesse d'encadrer les flux migratoires.

Le FN tire sa force de la place que lui accordent les principales formations politiques. Mais dès qu'il menace leurs positions, les mêmes se drapent dans le voile vertueux et hypocrite du Front Républicain pour s’opposer à l’élection de ses représentants.

Aujourd’hui, la donne est tout autre. Le FN tire profit de l'impuissance chronique du PS et de l'UMP à relancer l'économie, à sortir de la spirale du surendettement budgétaire et à combattre les maux d'une société plombée par la morosité et un chômage qui atteignent des sommets.

«De plus en plus de Français sont désorientés, nous confiait Jean-Luc Mélenchon à l’occasion de la dernière manifestation des Chômeurs et Précaires organisée à Paris, le 7 décembre dernier. Malheureusement, ils ne se tournent pas vers le Front de Gauche», constatait-il désappointé.

Dans le climat de défiance dont on peut mesurer l'ampleur avec l'affaire Dieudonné, la révolte des Bonnets Rouges, la Manif pour Tous ou Jour de Colère, le Front National apparaît aujourd’hui comme une alternative possible qui pourrait recueillir le vote de millions de nos concitoyens déçus par l’entame du quinquennat de François Hollande et désabusés par les promesses non tenues de son prédécesseur.

Le FN tire bien sa force des faiblesses et des combinaisons politiciennes de ses concurrents et opposants.

Constitue-t-il pour autant une vraie menace ? On en est encore loin ! La marge reste confortable.

Le FN ne compte aujourd’hui que deux députés à l’Assemblée Nationale (pas de sénateurs). Il ne dirige aucune région, aucun département, aucune grande métropole (lors des dernières municipales, il a néanmoins réussi à conquérir 14 villes).

Malgré son ancrage électoral, le Front National est sous-représenté dans toutes les instances et les assemblées de la République. Un traitement «déloyal» et «anti-démocratique», hurlent ses partisans.

Aujourd’hui encore, une majorité de l’opinion reste farouchement opposée à une représentation du FN là où se prennent les décisions. Il est toujours considéré comme un parti xénophobe, populiste et irresponsable sur les questions économiques. Mais cette désapprobation ne s’exerce qu'au plan national.

Il n’en est pas de même à l’échelle européenne, tant les Français apparaissent toujours plus sceptiques sur les décisions prises à Bruxelles ou votées à Strasbourg. La défiance se focalise plus encore sur celles qui touchent de près ou de loin à l’emploi, préoccupation majeure de la population dans son ensemble et, plus encore, des millions de Chômeurs et Précaires.

Sur ce dossier brûlant, une fois de plus, les forces politiques au pouvoir font le lit d’un Front National qui n’en espérait pas tant.

Pour beaucoup d’électeurs, et pas seulement pour ceux tentés par un vote FN, les frontières passoires de l’Europe encouragent aujourd’hui l’immigration, qui constitue encore et toujours le principal vivier idéologique du parti de Marine Le Pen.

Des drames de Lampedusa aux campements d’immigrés clandestins de Sangatte et Dunkerque, l’impuissance européenne à faire face collectivement aux situations dramatiques liées aux flux migratoires s’impose. Beaucoup estiment qu’il ne s’agit-là que de la partie émergée de l’iceberg d’une immigration clandestine dont on ne peut, par principe, évaluer l’ampleur. Le FN a alors beau jeu d’évoquer «l’envahissement» de l’Europe et de la France en particulier par des clandestins venus de toutes les régions du monde où sévissent misère et troubles politiques.

En cette période de chômage massif, ce discours ne peut que trouver un écho favorable dans l’opinion, y compris chez nos concitoyens d’origines immigrées établis depuis plusieurs générations. Le vote FN n’est pas l’apanage des seuls «Gaulois», des seuls Dupont-Durand comme on aurait tendance à le penser. Des Français issus de l’immigration africaine et nord-africaine peuvent être tentés par le Front National. Si ce phénomène est encore marginal, il est probable qu'il ne le reste pas. Nous aborderons cet aspect plus tard…

Le contexte international ne suffit pas à expliquer la défiance que suscite l’Europe sur les questions d’immigration. L’Union est elle-même source de flux qui sont bien loin de faire l’unanimité. Les débats qui entourent la présence des Roms en France en sont l’illustration. Des exactions en témoignent, tel que l’incendie d’un campement Rom à Marseille en septembre 2012, par des habitants de la cité des Créneaux. On constatera que cette destruction n’a pas suscité l’indignation qu’on aurait pu attendre : la condamnation unanime et sans appel d’un acte xénophobe. Et pour cause. Cette «chasse aux Roms» a été perpétrée par des habitants issus de la mixité ethnique marseillaise. Si des militants du Front National en avaient été les instigateurs, il est certain que la réprobation aurait été générale et soutenue par de puissantes manifestations de rue.

Cependant, le dossier Roms apparaît marginal au regard d’autres dispositions beaucoup plus embarrassantes qui, incontestablement, apportent de l’eau au moulin de la propagande bleue marine. Nul besoin de chercher des boucs émissaires au sud de la Méditerranée ou à l’est, du côté de la Roumanie et de la Bulgarie. La «menace» est plus proche de nous et bien connue de tous. Elle a fait la Une des journaux en 2005, à l’occasion du référendum sur le Traité pour une Constitution européenne auquel les Français ont dit «Non» à 55%, mais qui a été adopté, contre l’avis du peuple, par voie parlementaire.

En 2005 donc, les partisans du «Oui» nous assuraient, main sur le cœur, que jamais ô grand jamais l'Europe ne favoriserait la mise en concurrence de ses travailleurs. Juré craché ! Et qu’apprend-t-on aujourd’hui ?

En 2011, 145.000 «travailleurs détachés» sont officiellement venus trimer en France. Selon le ministère du Travail, ils seraient plus du double. Les syndicats estiment, eux, qu'ils seraient plus de 500.000 (source : Le Canard Enchaîné du 27 novembre 2013).

Qui sont ces «travailleurs détachés» ? Ce sont des plombiers, menuisiers, charpentiers, carreleurs, électriciens, routiers, maçons… low cost comme disent les anglosaxons. Des Polonais, des Roumains, des Portugais… qui travaillent en France et sont payés selon les dispositions sociales en vigueur dans leurs pays d’origine. Ainsi, les donneurs d’ordre économisent entre 25 et 40% sur les seules cotisations. Et ne parlons pas des à-côtés ! Car, forcément, ces travailleurs «délocalisés» à plusieurs milliers de kilomètres de chez eux n’ont pas grand-chose d’autre à faire de leurs soirées et de leurs week-ends que de bosser pour arrondir leurs fins de mois. Toujours selon Le Canard Enchaîné du 27 novembre 2013, l'URSSAF et l'Inspection du Travail relèvent chaque année des milliers d'infractions concernant ces «travailleurs détachés» (heures supplémentaires non déclarées, travail au noir et abus en tous genres).

Certains en déduiront que ces étrangers volent le travail des Français. L’Europe n’est alors pas perçue comme un bouclier protecteur mais comme un facteur d’aggravation de situations tendues. Les premiers à s’en inquiéter ne sont d’ailleurs pas les représentants de l'extrême droite, mais bien les syndicats du BTP et du transport routier (secteurs particulièrement touchés par ce dumping social).

Depuis 4 ou 5 ans, le phénomène des «travailleurs détachés» s’amplifie et s’élargit à d’autres corps de métier, avec son cortège de magouilles qu’encourage cette disposition. Les ministres du Travail européens s’en sont récemment inquiétés et ont pris des mesures pour tenter de contrôler ces flux de travailleurs low cost. Ces nouvelles règles seront bien évidemment contournées, comme l’ont été les précédentes et comme le seront les suivantes.

L’Europe institutionnalise bien la mise en concurrence de ses travailleurs, sur fond de dumping social, de salaires au rabais et de chômage de masse. Voilà un argument qui pourrait pousser nombre d’hésitants à voter Front National aux élections européennes.

Dans ce contexte, il est facile de comprendre que les millions de Chômeurs et Précaires que compte notre pays ne se sentent pas sécurisés. Bien au contraire ! Alors que le marché de l’emploi est atone, que les plans de licenciement s’égrènent, que la machine économique s'enlise, les facteurs d’insécurité professionnelle, à l’échelle mondiale et européenne, se multiplient.

• L’immigration dite «contrôlée» ou «souhaitée». Plébiscitée par nombre d’économistes comme moteur de croissance, elle est perçue par une population fragilisée comme un facteur aggravant.

• L’immigration clandestine, terreau de tous les fantasmes, de toutes les élucubrations et interprétations partisanes.

• Les flux migratoires intra européens de populations qui, par leur mode de vie, leurs traditions et leur organisation, suscitent le rejet.

• Les «travailleurs détachés» qui, par dizaines de milliers, exercent leur activité en France, à des coûts salariaux et sociaux inférieurs à ceux de leurs homologues français.

Autant d’arguments dans lesquels ne manquera pas de piocher le Front National. Comme nous l’avons évoqué plus haut, même nos concitoyens issus de la diversité ethnique pourraient y être sensibles. Des origines maliennes, algériennes, comoriennes, marocaines, chinoises, camerounaises, tunisiennes… ne préservent pas de la crainte d’être mis en concurrence forcée avec des travailleurs récemment arrivés.

Les origines ethniques et la couleur de peau n’ont plus leur place dans ce débat. Il s’agit juste de préserver son job pour certains, d’en retrouver un pour d’autres, dans un environnement de plus en plus concurrentiel, tant à l'extérieur du pays qu'à l'intérieur.

L’Europe telle qu’elle s’est élargie et construite, est perçue comme un facteur d’instabilité professionnelle par des électeurs focalisés sur le quotidien de leurs difficultés. C’est dans ce terreau déstabilisé par la précarité que le FN s’enracine (1).

À tel point que ce dernier pourrait définitivement s’affranchir de toute dérive raciste et xénophobe, en puisant sa force de frappe électorale dans cette réalité. Le «danger» n'est plus incarné par cet immigré africain, généralement musulman, désigné par le FN pendant des décennies comme responsable du chômage. À présent, le «concurrent» est un travailleur blanc, chrétien, originaire du sud ou de l’est du continent, ce «travailleur détaché» dont l'Europe encourage la mobilité !

Cette évolution est fondamentale. Aujourd’hui, les Français de toutes origines sont plus enclin à se battre pour protéger leur emploi qu’à préserver une «identité gauloise» qui ne correspond plus aux profils sociologiques de la France du XXIe siècle.

Le jour où le FN assimilera cette aspiration collective, ses opposants pourront craindre le pire !

(1) Le seul espoir des opposants au FN réside dans le fait que la précarisation est généralement facteur d’abstention électorale. L’expression du mécontentement par un vote Front National s’en trouverait alors amoindrie.

Article rédigé en février 2014. Plusieurs sondages réalisés en avril placent le FN en tête des intentions de votes aux élections européennes, à 24 ou 25%. 

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Mis à jour ( Dimanche, 15 Mars 2015 01:38 )