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Le comportement suicidaire de la finance

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C'est relativement accablé que l'économiste et anthropologue Paul Jorion nous rappelle que «les civilisations ne meurent pas assassinées : elles se suicident».

Un tribunal de Washington a invalidé, samedi 29 septembre, des mesures prises par la Commodity Futures Trading Commission (CFTC, le régulateur américain du marché des produits dérivés) qui visaient à plafonner le volume des positions qu'un intervenant peut prendre sur le marché à terme des matières premières afin qu'il ne puisse, à lui seul, le déséquilibrer. Les professionnels du secteur s'étaient opposés à de telles mesures, noyant la CFTC sous un flot d'avis défavorables, s'assurant ensuite — grâce au Parti républicain — que le budget de l'organe de contrôle prévu ne soit pas voté, assignant, enfin, la CFTC devant les tribunaux.

Quelques jours auparavant, le 24 septembre, l'International Organisation of Securities Commissions (organisme mondial fédérant les régulateurs nationaux sur le marché des matières premières), à qui le G20 avait confié le soin de réguler le marché du pétrole, jetait l'éponge. Lors de la réunion qui venait de se tenir, l'Agence internationale de l'énergie, l'Organisation des pays exportateurs de pétrole et les compagnies Total et Shell avaient constitué un front du refus. Les compagnies pétrolières avaient affirmé qu'en cas de réglementation du secteur, elles cesseraient de communiquer à leurs organismes de supervision les données relatives aux prix pratiqués.

Le 22 août, la Securities and Exchange Commission (le régulateur des marchés boursiers américains), qui avait mis au point un ensemble de mesures visant à empêcher que ne se reproduise un effondrement du marché des capitaux à court terme, n'est pas parvenue à les faire approuver par son comité de direction, l'un de ses membres — très lié au secteur financier — ayant refusé son aval.

La logique de ces trois manœuvres d'obstruction couronnées de succès est facile à saisir : la finance bénéficie d'un accès aisé à l'argent et utilise celui dont elle dispose pour empêcher qu'on la réglemente, même si les mesures envisagées visent, comme dans les cas évoqués, à empêcher la reproduction d'événements susceptibles d'entraîner... son effondrement total. Les régulateurs parviennent à infliger des amendes considérables aux banques responsables d'abus, comme les 550 millions de dollars (425,9 millions d'euros) exigés de Goldman Sachs pour avoir organisé des paris sur des produits conçus pour se déprécier, ou les 453 millions de dollars dont a dû s'acquitter la Barclays pour avoir manipulé les données des taux interbancaires du Libor. Mais une banque a des moyens d'éviter de subir les conséquences économiques de ses délits : elle peut réduire les dividendes qu'elle verse à ses actionnaires ; elle peut transmettre à ses clients tout ou partie de ses pertes en renchérissant ses services ; enfin, si elle est jugée "systémique", c'est-à-dire grosse au point que sa chute entraînerait le système financier tout entier, elle sera, comme observé depuis cinq ans, automatiquement sauvée par le contribuable en cas d'insolvabilité, et cela au nom de l'intérêt général.

Lorsque, à l'automne 2008, l'existence de ces établissements financiers systémiques est devenue évidente à l'occasion de la faillite de Lehman Brothers, la mesure à prendre allait de soi : il fallait les démanteler en unités plus petites, dont la faillite éventuelle pourrait être absorbée par les marchés. Mais, déjà, le lobbying (financé en partie par des sommes procurées par le contribuable…) a permis de mettre rapidement la mesure au rencart.

La finance dispose donc des moyens de neutraliser toute tentative de réduire la nocivité de ses pratiques. Elle s'est immunisée contre les efforts engagés par la communauté pour la protéger d'un nouvel effondrement — efforts motivés, bien entendu, par le souci de se prémunir contre les conséquences économiques et sociales d'une telle catastrophe. Toute mesure préventive d'un nouveau désastre étant systématiquement désamorcée, celui-ci devient inéluctable...

Si les mécanismes par lesquels le monde financier met en œuvre ce comportement suicidaire ne font pas mystère, sa motivation demeure, cependant, problématique. Dans son livre intitulé «Effondrement» (Gallimard - 2005), le biologiste Jared Diamond mentionne, parmi les raisons pour lesquelles des civilisations anciennes sont mortes, l'incapacité de leurs élites et de leurs gouvernements à se représenter clairement le processus d'effondrement en cours ou, si elles en ont pris conscience, leur incapacité à le prévenir en raison d'une attitude de défense "court-termiste" de leurs privilèges. Les comportements suicidaires ne sont pas absents du monde naturel : on les rencontre par exemple dans la physiologie de la cellule. C'est le phénomène de l'"apoptose" ou "mort cellulaire programmée", quand la cellule entame son autodestruction parce qu'elle reçoit des messages chimiques signalant la mort inévitable de l'organe auquel elle appartient. Arnold J. Toynbee, illustre philosophe de l'histoire, nous a prévenus : "Les civilisations ne meurent pas assassinées, a-t-il écrit, elles se suicident". Souhaitons que ce ne soit pas tout simplement à cela que nous assistons.

(Source : Le blog de Paul Jorion)

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Mis à jour ( Dimanche, 08 Septembre 2013 22:09 )  

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