Mort d'un inspecteur du travail

Mercredi, 25 Janvier 2012 18:15
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Après le suicide de Romain Lecoustre, jeune inspecteur du travail d’Arras, les syndicats dénoncent la surcharge de travail et le déni de la souffrance des agents par la hiérarchie.

«Quand la colère se mêle à l’émotion, réagissons  !», lancent les syndicats de l’Inspection du travail dans un tract commun qui appelle l’ensemble des agents à se réunir en assemblées générales cet après-midi, à l’heure où doit être inhumé, près d’Armentières, dans le Nord, leur jeune collègue Romain Lecoustre. Dans les services, l’émotion ne faiblit pas depuis qu’est tombée la nouvelle du suicide, mercredi dernier, de ce jeune inspecteur du travail d’Arras, âgé de trente-deux ans et militant à Sud.

Pour la hiérarchie, il serait « prématuré de se prononcer » sur le lien entre le suicide et les conditions de travail, comme l’a exprimé Joël Blondel, directeur de la Dagemo (Direction de l’administration générale et de la modernisation des services), autrement dit le DRH du ministère du Travail. Pour les syndicats, au contraire, « c’est bien le travail, ses conditions d’exercice et l’environnement hiérarchique qui sont responsables de la dégradation profonde de l’état de santé » du collègue, dans un contexte de réduction d’effectifs, de politique du chiffre, et de durcissement du management.

Romain Lecoustre avait commencé sa carrière comme contrôleur du travail, puis passé le concours d’inspecteur et pris son premier poste à Arras en mars  2010. Une collègue le décrit comme quelqu’un « qui en voulait, qui aimait son travail et se donnait à fond ». Mais dès son arrivée, « il s’est retrouvé dans une situation professionnelle difficile, débordé par la charge de travail à cause du sous-effectif, explique Pierre Joanny, inspecteur du travail à Lille et secrétaire national de Sud-Travail. À cela s’est ajoutée l’arrivée d’un responsable hiérarchique très dur, qui niait les difficultés et renvoyait à l’incompétence des agents, avec le soutien de la hiérarchie locale et régionale ».

Pendant six mois, le jeune inspecteur se retrouve, avec un autre débutant, à devoir faire l’intérim sur cinq sections. « Quand on alertait notre responsable, il niait notre charge de travail en disant que lui aussi avait commencé dans ces conditions, et qu’il y arrivait », se souvient Rémi Bellois, inspecteur et représentant CGT. « Quand Romain faisait quelque chose, ce n’était jamais assez. Il avait fait requalifier cinquante CDD en CDI, le chef a réagi en disant qu’il aurait pu faire mieux. Une autre fois, il l’a convoqué pour lui reprocher de ne pas faire assez de contrôles dans sa section. » Au fil des mois, la situation ne s’arrange pas, s’envenime même lorsque les deux jeunes responsables syndicaux interviennent sur une affaire d’amiante dans les locaux, et d’organisation des élections professionnelles. En juillet 2011, Romain Lecoustre fait une tentative de suicide après deux incidents lors de contrôles dans les entreprises. À son retour, il demande et obtient une mutation vers un autre service, le contrôle de la formation professionnelle à Lille, où il prend ses fonctions le 1er novembre dernier.

«Quand les collègues souffrent, la réponse de l’administration c’est de les changer de service», déplore Lucile Strzelecki, contrôleur du travail à Arras et représentante de Sud-Travail. « Mais quand on a une souffrance morale, on la garde pendant des années. Romain disait qu’il allait essayer de se reconstruire là-bas, mais il n’a pas réussi. » D’après elle, Romain Lecoustre était affecté par la lenteur de la procédure de reconnaissance de sa tentative de suicide en « accident de service » lié à son travail. « Romain était décidé à se battre pour cette reconnaissance, car il voyait l’importance de cette démarche sur le plan militant, explique Pierre Joanny. Mais le dossier n’avançait pas, la hiérarchie lui demandait toujours de s’expliquer, et mettait sa parole en doute. » En octobre, Romain avait réagi à un message de sa hiérarchie régionale sur son affaire, en parlant d’un « coup de couteau que je prends en plein cœur en tant qu’agent de contrôle, membre d’une organisation syndicale et être humain ».

(Source : L'Humanité)

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Mis à jour ( Vendredi, 13 Avril 2012 13:18 )