Mettons sous les verrous les «serial killers» qui nous dirigent

Samedi, 04 Décembre 2010 19:05
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Un serial killer, ou bien où il continue de tuer avec une violence toujours croissante, ou bien on le coince : une évidence qui n'émane pas d'un expert en criminologie mais de l'économiste Jean-Marie Harribey.

Atterré par l’idéologie économique ambiante, atterré par le chaos qui gagne en profondeur et en gravité toute l’Europe, excédé par les serial killers qui nous gouvernent, sidéré par le tournis dont sont saisis nombre de citoyens qui s’abandonnent à la moindre idée diffusée "à la cantonade", je prends le risque de faire quelques propositions à la hache et de les soumettre à la discussion.

1. Le mode opératoire des serial killers

Qu’est ce qu’un serial killer ?

C’est un tueur en série qui utilise généralement le même mode opératoire. C’est d’ailleurs ce qui finit par le perdre, car on arrive ainsi à le coincer.

Tous les gouvernements européens sont en train de tuer l’emploi, la protection sociale et les individus. Le gouvernement français vient de donner un coup potentiellement mortel à la retraite par répartition, à la demande expresse de tous les financiers, spéculateurs, assureurs, patronats…

À peine la besogne est-elle accomplie que le serial killer tisse les fils de sa toile dans laquelle il prendra l’assurance maladie pour l’assassiner. Ne doutons pas que l’affaire sera rondement menée. Et selon un scénario connu : on tarit les ressources de la Sécurité sociale, on la met en déficit chronique et croissant, on la déclare incapable de répondre aux besoins, on limite la prise en charge de ces derniers abandonnés aux assureurs, qui guignent d’un œil vorace les centaines de milliards d’euros par an qu’elle constitue.

Les serial killers à la tête des États ne commettent pas leurs forfaits sans un réseau de complicités dont les fils s’étendent du monde de la finance — banques, institutions financières de toutes sortes et agences de notation — à celui de la presse bien-pensante, sans oublier la mafia des paradis fiscaux. Les pièges sont tendus.

L’organisation du chaos

Comment surmonter la contradiction née d’une exigence de rentabilité des capitaux de plus en plus élevée, et la dégradation de la condition des salariés qui sont pourtant choyés par une publicité envahissante pour les transformer en oies gavées de gadgets ? Le système bancaire a inventé le crédit aux pauvres, moyennant des hypothèques aussitôt transformées en titres financiers qui vont se mélanger à la pyramide de multiples produits dérivés, lesquels font les délices d’opérateurs financiers fascinés par la martingale du casino mondial. Toutes les institutions dont le métier est de spéculer sur le dos des entreprises restructurées utilisent à fond la caisse le crédit bancaire pour bénéficier de l’effet de levier, tout en recyclant les placements de rentiers aspergés de dividendes croissant à la vitesse de la dévalorisation des salaires et des prestations sociales.

La finance a cru pourvoir shunter le passage par la case «travail productif» pour garantir une accumulation infinie. Marx avait montré que ce n’était pas possible et le miracle des petits pains ne s’est pas produit. Une à une, les bulles ont explosé. La montagne de dettes privées a été refilée à la collectivité. Celle-ci, par le truchement des banques centrales et par celui des budgets des États, a sauvé de l’effondrement les banques privées : des milliers de milliards injectés ou prêts à l’être sans aucune contrepartie exigée des bénéficiaires. Des milliers de milliards qui venaient soit de l’endossement par les banques centrales de créances pourries dont personne ne voulait plus, soit d’emprunts par les États auprès de la partie des institutions financières encore debout ou qui venaient d’être relevées !

Puis vint la phase où les naufragés remis en selle se sont mis à mordre la main qui les avait sauvés. Avec une arrogance inimitable, des agences privées s’étant auto-désignées «de notation» ont distribué des triples A, des A– et des B+ pour évaluer les capacités des États à honore leur dette dite souveraine. La Grèce a été la première victime des serial killers financiers. À cette occasion, le citoyen éberlué a appris que l’on pouvait spéculer sur des obligations d’État sans en posséder, par le mécanisme des ventes à découvert : les credit default swaps assurent ce que vous n’avez pas et deviennent eux-mêmes l’objet de spéculation. La Grèce est passée sous les fourches caudines de la finance : 110 milliards d’euros lui ont été accordés à un taux de 5,8%, deux fois plus élevé que celui que doivent payer les pays les mieux «classés». L’obligation de réduire son déficit de moitié en cinq ans est vouée à l’échec dans un contexte de récession sciemment organisée.

Le cas de l’Irlande est lui aussi éloquent : considéré comme modèle du libéralisme conquérant pendant la montée de la bulle immobilière, ce pays est jeté à bas par le basculement des banques trop impliquées dans cette frénésie spéculative. Qu’a fait l’État irlandais ? Il a garanti les créances pourries de ses banques et, pour cela, l’endettement public a explosé de 25% du PIB à plus de 100%, parce qu’il n’est pas question pour l’Irlande d’en finir avec son statut de quasi-paradis fiscal avec un taux d’imposition sur les sociétés dérisoire. Dans un sursaut d’indépendance, le gouvernement irlandais a tenté de résister aux injonctions qui lui commandaient de demander de l’aide. En vain, il a été «obligé d’appeler au secours».

Les cas grec et irlandais sont des cas d’école qui mettent au jour la rouerie des discours des gens de pouvoir censés réguler cette monstrueuse machinerie financière et celle des bonimenteurs chargés de vendre la purge de l’austérité aux populations : il faut avaler la purge sinon vous serez sanctionnés par la vente des bons de votre Trésor, donc on vous impose la déflation ; puis, quand la déflation est là à cause de la rigueur, vous devez payer les conséquences de celle-ci, qui se traduit notamment par une nouvelle explosion de la dette publique, et vous serez sanctionnés par la vente des bons de votre Trésor. Autrement dit : face, les marchés financiers gagnent, et pile, les populations perdent. Cela signifie que, malgré ou à cause de la liberté d’établissement des banques dans toute l’UE, un État s’engage implicitement à renflouer les banques étrangères qui sont venues tirer parti des largesses et facilités locales. Il est hors de question d’appliquer un principe de «spéculateur-payeur» analogue à celui de pollueur-payeur.

Mais cette partie «à tous les coups la finance gagne» est minée par une contradiction qui devient de plus en plus flagrante et que Keynes avait déjà en son temps bien repérée : les rentiers ont de l’argent à ne pas savoir qu’en faire et ils veulent le placer à tout prix (entendez, au meilleur prix) mais ils s’émeuvent de l’endettement trop élevé de leurs vaches à lait ; dans le même temps, les emprunteurs, sommés de s’acquitter de taux d’intérêt qui s’élèvent au fur et à mesure qu’ils s’endettent, sont pris dans l’étau que resserrent les banques. Il arrive donc aujourd’hui aux États devenus structurellement emprunteurs par la faute du système financier ce qui était arrivé dans les années 1980 aux pays appelés encore à l’époque du tiers-monde : étranglés par l’endettement et des taux qui voltigeaient, ils avaient dû subir la double peine avec les ajustements structurels que le FMI et la BM leur infligeaient. Monsieur DSK connaît ses classiques.

L’Union européenne est nue

La promesse d’une Union européenne îlot de stabilité dans un océan déchaîné grâce à un euro protecteur s’est évanouie. La preuve est faite, s’il en fallait une, que la «concurrence libre et non faussée» débouche immanquablement sur un accroissement des disparités de développement, de productivité, et cela d’autant plus important que l’élargissement de l’UE s’est fait à budget européen constant. Le bridage de la politique budgétaire était renforcé par celui de la politique monétaire et la zone euro, présentée comme modèle à l’ensemble du monde, devint en réalité la seule zone du monde privée de garant «en dernier ressort». Il n’est pas étonnant que, flairant la bonne affaire, les spéculateurs se soient mis à parier à outrance sur l’effondrement de chaque maillon de la zone, en commençant la curée par le plus faible.

Et apparaît alors le vice fondamental, intrinsèque, inexpugnable de la finance capitaliste mondiale : le marché financier ne peut, par définition, s’équilibrer. En effet, plus la confiance en un emprunteur se dégrade, la baisse de la demande de titres émis par celui-ci devrait entraîner la baisse du prix exigée en rémunération des prêts. Or, c’est le contraire qui se produit : le taux d’intérêt grimpe à toute allure, ce qui signifie que la fameuse loi de l’offre et de la demande est contredite par l’exigence de primes de risque plus fortes.

Le traité de Lisbonne, reprenant textuellement les traités antérieurs, interdit à l’UE de venir en aide à un État en difficulté et à l’un des membres de se porter au secours de son voisin malade. De même, il interdit à la Banque centrale européenne de monétiser les déficits publics et la dette publique. En langage clair, cela signifie que les États ne peuvent pas faire appel à la banque centrale et sont obligés d’emprunter auprès des opérateurs privés qui n’attendent que ça, bien qu’ils glapissent après les déficits publics pour justifier la restriction des dépenses publiques.

Mais, ce traité, que l’on nous disait intouchable, est passé à la trappe. La Banque centrale européenne a racheté des obligations d’État douteuses. L’Allemagne, suivie par la France, a exigé que les conditions de l’aide soient aggravées. Ce ne sont plus seulement les sanctions du Pacte de stabilité, ce sont celles d’un Plan de stabilité au carré.

Un Fonds européen de stabilisation financière a été créé par l’Ecofin de mai 2010 qui prévoit plusieurs centaines de milliards d’euros mobilisables (440 milliards + 310 ajoutés par le FMI) pour sauver les États menacés de faillite selon les critères des agences de notation. L’Irlande va recevoir 85 milliards de ce fonds, dont 35 destinés directement aux banques par qui le scandale est arrivé. Cela ressemble à un gag de mauvais goût : les Irlandais que l’on oblige à revoter chaque fois qu’ils disent non (en 2001 et en 2008) à une saloperie qu’on leur prépare sont soumis à une potion amère pour colmater les brèches ouvertes par la saloperie en question.

Que se passera-t-il si, tour à tour, les maillons de la chaîne européenne lâchent ? Le Fonds de stabilité financière ne peut sauver qu’un ou quelques États. Qui sauvera les derniers ? Derrière la dernière banque centrale, il n’y a plus rien.

Pendant ce temps, le G20 tient l’assemblée des serial killers

En novembre 2008, le G20 réuni à Washington décide de l’ordre du jour du G20 suivant. En avril 2009, le G20 de Londres amuse la galerie avec les paradis fiscaux.

En septembre 2009, le G20 de Pittsburgh se félicite que les banques aient été sauvées… par l’argent public.

En juin 2010, le G20 de Toronto réforme le FMI qui pourra mieux imposer l’austérité partout. Les Grecs, les Hongrois, les Irlandais disent merci. Les Portugais, les Espagnols… piaffent pour remercier leurs bienfaiteurs.

En novembre 2010, le G20 de Séoul regarde se mettre en place les germes de la guerre des monnaies.

2. Après le chaos, le refus de l’abîme

Le mouvement social français de cet automne a montré la capacité de la population à faire les connexions entre tous les dégâts qui lui tombent sur la tête. Le ras-le-bol vis-à-vis des serial killers est à son comble. Ainsi s’explique la rapidité avec laquelle la proposition d’Éric Cantona s’est répandue sur internet, en appelant à la révolution contre les banques en retirant en espèces tous les dépôts. Mais peut-on s’écarter du chaos en sautant dans l’abîme ?

La difficulté tient au fait que la finance nous mène inexorablement à l’abîme, puisque, dès lors que la règle «socialisation des pertes et privatisation des bénéfices» est devenue le trait d’union de toutes les politiques économiques, la crise en un point entraîne obligatoirement la crise au point le plus proche économiquement et financièrement parlant. On pourrait donc être tenté de dire : cela ne peut pas être pire. Il faut pourtant y réfléchir à deux fois. En admettant que les épargnants se précipitent aux guichets des banques pour réclamer leurs avoirs, il faut pouvoir répondre aux questions suivantes :

• Qui réussira à obtenir des espèces ? Les premiers arrivés, et encore !
• Et que demander aux banques ? Des billets, c’est-à-dire des bouts de papier ? Tant qu’à faire, pourquoi pas de l’or, du platine, de l’argent, du vrai… ?
• Que faire des billets retirés emplissant de gros sacs pour les épargnants les plus riches et de maigres enveloppes pour les plus pauvres ? Augmenter la consommation ? Mais si le système de crédit s’effondre, l’économie fait de même et il faudra peu de temps pour qu’il n’y ait plus rien à acheter.
• Que devient la souveraineté populaire si le peuple se suicide en même temps qu’il cherche à trucider les banques ?

Au fond, la proposition de Cantona surfe sur l’illusion que les banques prêtent ce que leurs clients ont préalablement déposé. Or c’est exactement l’inverse. C’est parce que les banques font crédit que des dépôts sont effectués. On pourrait même imaginer le scénario à la Cantona suivant : les banques distribuent tous les billets qu’elles détiennent aux épargnants qui font la queue devant ses guichets ; l’activité de prêt continue puisque les crédits sont accordés en monnaie scripturale et les emprunteurs règlent leurs achats et investissements en ordonnant des virements de compte à compte. Où serait la révolution de Cantona ?

S’emparer des banques

Détruire les banques revient à se tirer une balle dans le pied. En revanche, le temps est venu de s’en emparer radicalement. Cela signifie :

• La collectivisation-socialisation de tout le système bancaire à l’échelle européenne ;
• La reconnaissance officielle de ce qui est devenu la pratique incontournable : la possibilité d’achat par la BCE des bons du Trésor à taux zéro ;
• En d’autres termes, la réappropriation publique de la création monétaire ;
• L’interdiction des ventes à découvert.

Cette mise au pas du système bancaire et financier sera d’autant plus efficace qu’elle sera accompagnée :

• De la mise en place d’une taxation des transactions financières, à l’échelle européenne pour démarrer le processus ;
• Du renforcement très important de la fiscalité sur les revenus financiers, en réintroduisant une forte progressivité afin de parvenir à un plafonnement des hauts revenus.

Annuler la dette publique qui est illégitime

Tout le monde sait que la montée des déficits publics et donc de l’endettement public n’est pas due à une dérive des dépenses publiques. Elle est due à deux facteurs. L’un qui est à l’œuvre de manière rampante depuis plusieurs décennies, le cas français étant exemplaire à cet égard : la fiscalité a été réduite par tous les bouts, et particulièrement la fiscalité progressive, sans que les gouvernements successifs ne réussissent à rogner proportionnellement les dépenses publiques et sociales dont une grande part est incompressible. Le second facteur est récent et le plus violent : il s’agit de l’endossement des dettes privées par les collectivités publiques à la suite de la crise bancaire et financière.

Il est donc impossible de justifier que les populations soient obligées d’absorber toutes les conséquences d’une situation dont elles ne sont nullement responsables. La quasi-totalité de la dette publique est illégitime.

(...) L’explosion de l’endettement public est imputable d’une part aux cadeaux fiscaux faits aux classes sociales les plus riches et d’autre part à la crise due essentiellement aux pratiques financières qui, in fine, servent les intérêts desdites classes.

(...) L’idée d’annuler la dette publique n’est donc pas saugrenue. Elle est bien sûr politiquement abrupte puisqu’elle porte le fer dans le flanc de la rente, de la finance et, pour abandonner les euphémismes, dans celui de la classe bourgeoise aux dimensions internationales.

=> Suite et fin de l'article sur le site d'Alternatives Economiques


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Mis à jour ( Vendredi, 10 Décembre 2010 10:21 )