Chômeurs en fin de droits : un vrai-faux plan

Lundi, 19 Avril 2010 22:41
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Laurent Wauquiez a sillonné les médias pour rendre hommage aux syndicats, qualifiant l'accord qu'ils ont conclu de «très généreux». Zoom sur un leurre avec déceptions à la clé.

Le gouvernement et les signataires de l’accord intitulé «plan rebond pour l’emploi» (PRPE) - cliquez ici pour lire son contenu en pdf - se vantent d’avoir trouvé une solution pour chaque chômeur en fin de droits. Mais les mesures du plan se révèlent floues, soumises à conditions, voire hypothétiques.

Ces prochains mois, la déception risque d’être énorme parmi les chômeurs qui arriveront au bout de leurs allocations. Depuis jeudi, les signataires du PRPE – gouvernement, patronat, syndicats sauf la CGT – se relaient pour marteler qu’enfin leur travail acharné de négociateurs a débouché sur un compromis miracle. À les en croire, ils ont trouvé une «solution» pour chaque chômeur qui arrivera en fin de droits courant 2010.

Pour un coût total de 705 millions d’euros pris en charge par l’État et l’Unedic, voire 838 millions si les régions – non consultées – mettent la main à la poche, chacune de ces personnes se verra proposer un contrat aidé, une formation rémunérée ou, à défaut, jusqu’à six mois d’une allocation exceptionnelle présentée comme un «filet de sécurité». De sorte que le vœu exprimé par le président Sarkozy lors de son intervention télévisée fin janvier, de ne «laisser personne sur le bord de la route», semble exaucé.

«L’aide exceptionnelle qui sera versée sur plusieurs mois […] est une mesure de solidarité exemplaire», a salué l’UMP tandis que le secrétaire d’État à l’emploi, Laurent Wauquiez, se félicitait d’un plan «très généreux pour ceux qui cherchent vraiment un emploi», et le Medef de «mesures exceptionnelles et temporaires sans précédent». Côté syndical, la CFDT, en pointe dans la négociation, se vante d’avoir «obtenu une solution pour tous» et affirme qu’«aucun chômeur en fin de droits ne sera laissé pour compte». «Quand 705 millions d’euros sont débloqués, il ne faut pas cracher dans la soupe», lance son secrétaire national Laurent Berger.

Mais à y regarder de plus près, derrière l’écran de fumée de l’effet d’annonce, nombre de mesures sont floues, soumises à conditions, dépendant de critères encore à déterminer, écrites au conditionnel ou reprises de dispositifs déjà actés  ! Décryptage.

1. Au départ, un diagnostic biaisé

Sur le nombre de chômeurs à aider, selon Pôle Emploi, il y avait en novembre 1 million de chômeurs arrivant en fin de droits en 2010. Le plan rebond se vante d’avoir trouvé une «solution» pour «chaque chômeur en fin de droits»...

Entre temps, la machine à dégonfler les statistiques a bien travaillé. Les négociateurs ont en effet estimé que sur le million de départ, 170.000 chômeurs auraient droit à l’allocation de solidarité spécifique (ASS), 220.000 au Revenu de solidarité active (RSA), et 10.000 iraient en préretraite. Ensuite, ils ont défalqué 15.000 bénéficiaires potentiels du RSA-jeunes dont l’entrée en vigueur a été avancée à juillet, et environ 50.000 prétendants à l’allocation équivalent retraite (AER) et à l’allocation de formation (AFDEF), rétablies pour 2010. On en est donc à 535.000 personnes sans solution.

Et c’est en supposant que 190.000 chômeurs vont retrouver un travail, même de courte durée, dans les six mois, que le problème a été ramené à 345.000 chômeurs. Or, puisqu’on ne peut identifier à l’avance les personnes qui retrouveront un boulot, ce sont en réalité 535.000 personnes qui se partageront les 345.000 «solutions» du plan. Beaucoup resteront sur le bord de la route...

2. Contrats aidés : du réchauffé, de l’hypothétique, et du précaire

Décidément, la mode est au «rebond» puisque les négociateurs ont décidé de rebaptiser «contrats rebonds» les 170.000 contrats aidés annoncés dans le plan. D’ordinaire destinés aux chômeurs en difficulté sociale, ces contrats sont des CDD, au smic horaire et en général à temps partiel (20 heures minimum), soit dans le secteur public ou associatif (contrats d’accompagnement dans l’emploi ou CAE), soit dans le secteur privé (contrats initiative emploi ou CIE), pour lesquels l’employeur bénéficie d’exonérations de cotisations et d’une prise en charge quasi totale du salaire par l’État.

Le plan prévoit 120.000 CAE et 50.000 CIE, ce qui laisserait penser que le gouvernement va créer 170.000 emplois. En fait, les 120.000 CAE se font «dans le cadre des moyens déjà budgétés» pour un surcoût… de zéro euro ! Pôle Emploi va simplement bousculer la file d’attente et réserver ces contrats aux chômeurs en fin de droits, même s’ils ne correspondent pas au public cible.

Au risque de marginaliser encore plus les chômeurs les plus en difficulté d’insertion, souligne le syndicat SNU-Pôle Emploi. Et de déclasser radicalement les autres. Quant aux CIE, le gouvernement débloque le financement de 50.000 contrats, mais encore faut-il que les entreprises créent ces emplois.

3. Un plan formation renvoyé aux calendes grecques

En matière de formation aussi, le rebond ressemble à du surplace. Les négociateurs annoncent 70.000 formations, mais attention : en deux temps. D’abord, «mobiliser des financements disponibles existants», en réorientant vers les chômeurs en fin de droits 25.000 places de formations… déjà prévues dans le budget de Pôle Emploi !

Naturellement, ces actions concernent uniquement les secteurs en tension comme «le transport, le BTP, le commerce, l’information-communication, les services à la personne»... Dans un second temps, «sur la base d’un bilan de cette première étape, pourrait être lancé un marché public complémentaire» pour 45.000 formations, pour lequel «serait recherché» un financement de 310 millions d’euros. Le tout au conditionnel ! Et les régions «seront sollicitées pour proposer 20.000 formations supplémentaires», précise le texte, alors que ces collectivités ont déjà exprimé leurs réticences.

4. L’aide exceptionnelle pour l’emploi sera versée de manière… très exceptionnelle


Les négociateurs font mine d’avoir créé un «filet de sécurité» sous forme d’une allocation de crise de six mois maximum, d’un montant mensuel de 456 euros, pour les chômeurs sans autre solution. Mais, d’une part, la mesure est corsetée dans une enveloppe de 220 millions d’euros, ce qui correspond à un versement pendant six mois à 80.000 chômeurs seulement. La mesure s’éteindra-t-elle avec l’épuisement du budget ?

Ensuite, l’aide «ne sera attribuée qu’en dernier recours», «à défaut de proposition de mesures actives» (formation ou contrat aidé), et «le défaut d’acceptation de celles-ci ne permettra pas de déclencher son versement». Autrement dit, au nom des «droits» et «devoirs» des demandeurs d’emploi, ceux qui refuseront un contrat ou une formation seront écartés de l’allocation, et le texte ne prévoit pas de motif légitime de refus !

Pour Maurad Rabhi de la CGT, l’aide s’apparentera à une simple «allocation d’attente, pour faire le joint entre la fin de droits et le début d’une formation ou d’un contrat aidé».

Mais, même dans ces cas-là, le versement ne sera pas automatique. Le secrétaire d’État à l’emploi Laurent Wauquiez a affirmé que les conditions de ressources (c’est-à-dire la prise en compte des revenus du conjoint pour déterminer le droit de toucher l’allocation) «ne seraient pas trop étroites», mais sans précision... Le texte renvoie cette question très sensible aux travaux d’un «comité de suivi» de l’accord, où les négociateurs pourront fixer la barre… où ils veulent.

Fanny Doumayrou pour L'Humanité


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